Depuis que le Front Patriotique Rwandais a pris le pouvoir au Rwanda en 1994, à la suite du Génocide contre les Tutsis, il a mis en œuvre une stratégie implacable pour systématiquement taire tous les critiques afin de rester la seule voix autorisée sur la scène politique nationale et renforcer ce mythe du parti «sauveur de la Nation» tellement plébiscité par l’Occident. Durant les 26 années de règne du FPR, plusieurs opposants politiques et dissidents du parti au pouvoir ont été emprisonnés, portés disparus et d’autres assassinés.

Depuis le début de ma carrière politique, le FPR a rapidement mesuré la menace que mon franc-parler et mes idéaux représentaient et de ce fait, a fait de moi l’une des cibles privilégiées d’attaques de toutes sortes.

Pire encore, ma famille et plusieurs de mes collaborateurs ont aussi eu droit aux attaques diffamatoires, aux procès sans fondement et aux emprisonnements arbitraires.

C’est pour eux tous, ma famille, mes collègues, mes amis et tous les jeunes gens au Rwanda et par le monde qui se sont reconnus et entendus dans ma voix, tous ces gens qui ont été des victimes souvent ignorées et invisibles, c’est pour eux tous que je désire parler aujourd’hui.

Rassurez-vous, la campagne vicieuse menée contre moi m’accusant cyniquement et fallacieusement de nier le génocide contre les Tutsis et d’avoir une « idéologie de génocide » que j’aurais héritée de mes parents, loin de me décourager renforce encore plus ma détermination. Mais elle est efficace car elle rabaisse le débat politique au Rwanda et les valeurs intrinsèques qui caractérisaient le Rwandais.

Pour dire la vérité, cela me brise le cœur quand je vois l’ampleur de la diffamation dont je suis victime, surtout lorsqu’elle est orchestrée par de hauts fonctionnaires et par des médias proches du pouvoir. Pire encore, cette haine est véhiculée par des jeunes hommes et des jeunes femmes embrigadés dans des machines qui les pompent de cette même idéologie dont on m’accuse et qui a mené notre pays au Génocide. Cela me rappelle les paroles de Jésus-Christ lorsqu’il a dit: «Ne craignez pas celui qui tue le corps, mais craignez plutôt celui qui tue l’esprit». Ils sont en train de tuer l’esprit des jeunes et ce faisant, ils déciment l’esprit rwandais.

La rwandité –si vous me permettez de créer un mot pour traduire notre vernaculaire ‘ubunyarwanda’ a toujours été porteuse de valeurs fondamentales d’intégrité personnelle, de sincérité, de protection et d’honneur de la famille. C’est à cet égard qu’un enfant n’est pas désigné par son nom, mais plutôt par sa filiation (fils ou fille de tel ou telle). Ce n’est pas un geste discriminatoire ou réducteur mais plutôt une reconnaissance et un signe de respect pour son origine. De même, nous apprenons traditionnellement à respecter les plus âgés et les autorités car l’autorité, qu’elle soit parentale ou communautaire, n’était jadis pas imposée par la peur, mais gagnée par la droiture. Les mères de famille jouissent d’une place particulière car considérées comme «le cœur du foyer» et donc le respect qu’on leur doit est des plus stricts.

Aujourd’hui, il devrait être naturellement du devoir de la génération âgée de transmettre ces valeurs aux plus jeunes, raison pour laquelle les personnes âgées étaient autrefois très respectées. Malheureusement c’est tout le contraire. Je vois que la propagande vicieuse faite à mon encontre est d’une part élaborée et menée par des plus âgés bien informés ainsi que par des personnes ayant l’autorité et, d’autre part, elle instrumentalise les jeunes pour en faire les figures les plus visibles de la haine. Cet état des choses est un indice irréfutable d’une dégénérescence morale dans la société rwandaise. Je ne suis pas tant préoccupée par les fausses accusations à mon égard mais plutôt par la perte de l’esprit, des normes et des valeurs de la société rwandaise.

Je sais que ceux qui veulent me présenter comme un monstre savent qu’ils sont dans le faux, et je ne m’attends pas à ce qu’ils changent leur récit. Cette clarification s’adresse à de nombreux Rwandais innocents, assoiffés de vérité et de restauration des valeurs rwandaises, et à des milliers de gens dans le monde qui nous ont toujours témoigné de la bienveillance et qui comme moi, se battent pour que le Rwanda ne replonge plus jamais dans les affres du divisionnisme, de la guerre et des cercles vicieux de massacres des innocents.

Mon histoire personnelle

Bien que cela me fait mal de revenir là-dessus, je voudrais commencer par parler de la propagande douloureuse et malveillante visant mon père et ma mère, qui les qualifie sans honte de « génocidaires » qui m’auraient transmis une idéologie génocidaire. Dans un pays qui peine à chercher la justice pour des millions de morts innocents, des détracteurs n’ont aucun scrupule à utiliser des affirmations aussi gratuites et caricaturales que de dire que j’aurais reçu l’idéologie génocidaire en tétant le lait de ma mère.

Voici donc quelques faits.

Mon père, Gakumba Pascal, a été arrêté en 1982 et a passé 4 ans en prison, accusé d’être complice de comploteurs d’un coup d’État contre le défunt président Habyarimana, le prétendu grand ennemi du FPR. Parmi les putschistes présumés figurait le colonel Alexis Kanyarengwe, qui a ensuite rejoint le FPR et en est devenu le président de 1990 à 1994.

En 1990, lorsque l’actuel parti au pouvoir, mais qui était à l’époque un groupe armé, a attaqué le Rwanda, mon père a été arrêté et détenu parce qu’il était accusé d’être complice de l’invasion du FPR. Peu après la prise du pouvoir en 1994 par le FPR, mon père a été nommé maire de la commune de Kibilira, parce que ceux qui l’ont désigné appréciaient son intégrité morale et sa lutte contre les injustices.

Mon frère a été tué en 1994 par les Interahamwe parce qu’il ressemblait à un Tutsi. D’autre part, ma tante, avec son nouveau-né, son mari, les parents de ce dernier ainsi que tous ses frères et sœurs, ont été tués par les soldats du FPR en 1996. Les Interahamwe et les membres du FPR ont tué mes proches et, maintenant, on m’accuse encore d’avoir une idéologie de génocide.

En 1996, après presque deux ans d’exercice en tant que maire de Kibilira, mon père a été sélectionné pour devenir membre de l’Assemblée nationale. Malheureusement, il a été arrêté à quelques trois jours seulement avant la cérémonie de prestation de serment et libéré 4 ans plus tard, en l’an 2000, sans avoir jamais été inculpé! Un rapport signé par le procureur de l’État a témoigné que son arrestation était liée à sa sélection pour devenir membre de l’Assemblée nationale. Une ou plusieurs personnes qui ne voulaient pas qu’il devienne membre du Parlement l’ont donc étiqueté «génocidaire». Des résidents, dont des Tutsis rescapés/ survivants du génocide, ont témoigné pour sa défense. Ces faits prouvent que l’histoire personnelle de mon père, telle que véhiculée par ceux qui veulent me salir, ne correspond pas à la personnalité d’une personne qui a une idéologie de génocide.

Comme je l’ai mentionné plus haut, ces attaques diffamatoires des plus cyniques visent également ma mère, Dusabe Thérèse. Ma propre mère, qui nous a élevés avec amour, qui a passé toute sa vie à venir en aide aux autres, est faussement accusée d’avoir tué une femme au centre de santé de Butamwa où elle travaillait. Et ce mensonge continue malgré qu’il existe des preuves irréfutables que personne n’a été tué au centre de santé de Butamwa pendant la période indiquée. Je ne peux pas donner plus de détails à ce sujet car l’affaire est toujours en cours. Purement et simplement, mes parents n’ont jamais eu d’idéologie de génocide et n’ont jamais tué comme veulent le faire croire mes détracteurs.

Ma carrière politique

Mes détracteurs veulent faire croire au monde que je fais partie des fondateurs d’un prétendu « groupe terroriste » appelé RDR, fondé en 1995 en République Démocratique du Congo, alors connue sous le nom de Zaïre. Ils mentent délibérément puisqu’ils savent très bien que je suis arrivée aux Pays Bas en mars 1994 où j’ai poursuivi mes études.

Cependant, il y a eu deux organisations qui ont porté le même nom : le RDR (Rassemblement pour le Retour des réfugiés et de la Démocratie au Rwanda) créé en 1995 dans le camp de réfugiés de Mugunga et qui a cessé ses activités en 1997 après la destruction des camps de réfugiés, et le RDR (Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda) qui a été créé en 1998.

Le Rassemblement pour le Retour de la Démocratie et des Réfugiés au Rwanda, dont je n’ai jamais été membre, était un groupe d’influence et de défense des réfugiés qui vivaient principalement au Zaïre, en Tanzanie et au Burundi. Il plaidait pour un retour pacifique, ordonné et dans la dignité des réfugiés au Rwanda. Il était présidé par François Nzabahimana, assisté entre autres par le vice-président Aloys Ngendahimana et le secrétaire exécutif Innocent Butare. Sa direction était basée au Kenya, au Zaïre et en Tanzanie.

La décision de former un parti politique appelé RDR (Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda) a été prise lors d’un congrès tenu à Paris en 1998. Charles Ndereyehe en est devenu le président et Claver Kanyarushoki le vice-président. Les membres du parti politique nouvellement créé étaient principalement des réfugiés rwandais, dont quelques-uns avaient été des membres dirigeants du groupe d’influence du Rassemblement pour le Retour de la Démocratie et des Réfugiés au Rwanda. La direction du Rassemblement Républicain était basée en Europe.

En septembre 1998, le RDR a créé une alliance avec une autre organisation politique, les FRD (les Forces de Résistance pour la Démocratie), dirigées par Faustin Twagiramungu, pour former l’Union des Forces Démocratiques Rwandaises (UFDR). Les deux organisations ont élaboré un programme politique commun. Faustin Twagiramungu devint président des FRD et Charles Ndereyehe leur vice-président. Il est important de noter que les FRD ont été créées en grande partie par des personnes qui ont participé au gouvernement post-génocide et qui ont été contraintes de s’exiler parce qu’elles refusaient de continuer à soutenir la ligne politique du FPR. Cette « nouvelle » vague de réfugiés est donc arrivée à l’étranger à partir de 1995.

J’ai à mon tour eu l’immense privilège et l’honneur d’être élue présidente du Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda lors du congrès du parti qui s’est tenu à Bonn en août 2000 et qui a adopté la ligne politique de cette nouvelle organisation politique. Il est important de noter deux résolutions clés prises lors de ce congrès : la « réaffirmation de sa condamnation du génocide commis contre les Tutsis en 1994 »; et le rejet catégorique de l’option militaire comme moyen d’apporter un changement politique au Rwanda.

Cette dernière résolution a conduit à une scission au sein du parti. Ceux qui ont opté pour l’option militaire ont quitté le parti et se sont associés à d’autres pour créer les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) en Septembre 2000. Parmi eux, Ignace Murwanashyaka, ancien représentant du RDR en Allemagne, qui est devenu le Président de cette nouvelle formation.

C’est donc un mensonge éhonté que de prétendre que j’ai travaillé avec les FDLR ou que je nie le génocide contre les Tutsis.

En 2006, le Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda a fusionné avec les Forces de Résistance pour la Démocratie (FRD), l’Alliance Démocratique Rwandaise (ADR-Isangano) et des indépendants pour constituer les Forces Démocratiques Unifiées (FDU-Inkingi). L’objectif était d’unifier les partis politiques d’opposition non armés basés en dehors du Rwanda.

En 2008, les FDU-Inkingi ont pris une décision des plus historiques: celle de participer aux élections présidentielles rwandaises prévues en août 2010. C’est dans cette optique qu’en tant que présidente du mouvement, j’ai fait le voyage retour au pays natal en janvier 2010, afin de présenter ma candidature à la magistrature suprême du pays.

Tous les obstacles ont été érigés sur mon chemin pour m’empêcher d’enregistrer le parti. J’ai été arrêtée, détenue et finalement condamnée à 15 ans de prison pour minimisation du génocide, propagation de rumeurs, et conspiration.

Par son arrêt prononcé le 24 novembre 2017, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sis à Arusha a jugé que j’avais été lésée dans mes droits et a demandé au gouvernement rwandais de me payer des dédommagements. Le gouvernement rwandais a ignoré cette décision de la Cour.

Ironiquement, et à l’opposé de la virulence et du mépris dont nous les Rwandais faisons l’objet, Kigali a fait preuve d’une retenue extraordinaire quand en Avril 2020, les mêmes propos qui, contre moi, ont été transformés en accusations de minimisation du génocide et m’ont valus d’être incarcérée pendant de longues années – que le fait de ne pas honorer et se souvenir de toutes les victimes présente une image incomplète de la partie sombre de l’histoire rwandaise – ont été publiquement exprimés par les deux alliés les plus puissants de Kigali, les gouvernements américain et britannique, à la tribune des Nations Unies et dans des communiqués officiels partagés avec le monde entier.

Après huit ans injustement passés en prison, j’ai été libérée le 14 septembre 2018 par une grâce présidentielle assortie de conditions, dont l’interdiction de quitter le pays et l’obligation de me présenter au bureau du procureur une fois par mois. J’ai remercié le président pour sa clémence.

Il est clair que la propagande faite contre moi est non seulement fausse, elle met aussi ma vie en danger. Il est stupéfiant de constater que les personnes et médias qui en sont les auteurs sont à l’abri de toute poursuite en raison des liens étroits qu’ils entretiennent avec le système au pouvoir. Ils violent en toute impunité les lois sur la diffamation, l’incitation à la haine et au meurtre, simplement parce que la victime est quelqu’un comme moi de l’opposition politique qui pourtant exerce les droits politiques et civils garantis par la Constitution nationale.

Depuis novembre 2019, j’ai quitté les FDU-Inkingi et j’ai créé le nouveau parti politique DALFA-UMURINZI.

Mon départ n’a rien à voir avec les allégations selon lesquelles les FDU sont une organisation terroriste. Ma décision mûrement réfléchie découle du fait que, tout déplacement à l’étranger m’étant interdit dans le cadre de ma libération conditionnelle, et la majorité des membres étant basés à l’extérieur du pays, il m’était devenu difficile de diriger l’organisation uniquement par internet et par téléphone.

J’en appelle vraiment à tous les sympathisants du Rwanda et aux Rwandais de bonne volonté pour aider à stopper le développement d’une culture de la violence, qu’elle soit physique ou verbale. Reconstruire le capital social fondé sur les valeurs qui ont fait la spécificité des Rwandais est la clé de la construction d’une Nation rwandaise forte.

Je ne garde aucune rancune contre qui que ce soit, mais j’ai plutôt pitié de mes détracteurs et je m’inquiète pour l’avenir de mon pays si la tendance actuelle se maintient.

Kigali 8 Juin 2020

Madame Victoire Ingabire Umuhoza
Présidente DALFA-Umurinzi

Victoire Ingabire Umuhoza

  • Née le 3 octobre 1968 à Rubavu au Rwanda
  • 1998 : Adhésion au Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda (RDR)
  • De 2003 à 2006 : Présidente de l’Union des Forces Démocratiques Rwandaises (UFDR)
  • 2006 à 2019 : Présidente des Forces Démocratiques Unifiés (FDU-Inkingi)
  • Janvier 2010 : Retour au Rwanda et discours appelant à la reconnaissance de toutes les victimes (Mémorial du génocide de Kigali à Gisozi)
  • Octobre 2010: Emprisonnement et poursuites judiciaires
  • 8 mars 2011 : Lancement du prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la Démocratie et la Paix (Montréal)
  • 25 septembre 2012 : Nomination au prix Sakharov du parlement européen en compagnie de Me Bernard Ntaganda et Déo Mushayidi
  • 24 novembre 2017 Condamnation du Rwanda par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour l’emprisonnement arbitraire de Victoire Ingabire
  • 15 septembre 2018 : Grâce Présidentielle et libération avec 2000 autres prisonniers
  • 9 novembre 2019 : Création du parti politique DALFA Umurinzi (opposition basée au Rwanda)
  • 14 novembre 2019 : Lauréate du prix international des droits de l’homme décerné par l’Association des droits de l’homme d’Espagne (APDHE)

Source: DALFA-Umurinzi