Le droit international est dynamique. Il se développe par les contrats et par la pratique. L‘évolution toujours en progrès du droit international a ainsi porté plus avant, pas à pas, l’idéal d’autodétermination des peuples, celle de l’époque de Woodrow Wilson, les concepts d’autonomie dans ses célèbres 14 points – par la Charte de l’ONU concernant la décolonisation et finalement aussi par la reconnaissance du droit à la séparation des pays de l’ex-Union soviétique et de l’ex-Yougoslavie ayant obtenu leur indépendance. Suivant les précédents de la Slovénie, de la Croatie et du Kosovo, etc., ce n’est que le droit humain à la partition qui est établi – en tant que solution ultime, lorsque l’autodétermination intérieure ne peut plus être réalisée.

Conformément à l’Avis consultatif de 2010 de la Cour internationale de Justice sur le Kosovo, une déclaration unilatérale d’indépendance n’enfreint pas le droit international. La séparation du Kosovo d’avec Serbie a établi un précédent important en droit international, qui est invoqué par de nombreux peuples aspirant à l’indépendance, y compris les Kurdes et les Catalans. Alors que la reconnaissance est déclaratoire et ne confère pas le statut d’Etat, il est dans l’intérêt de la communauté internationale d’accueillir les Etats de facto au sein des Nations Unies et de leur permettre ainsi d’adhérer aux Conventions de Nations Unies, et tout particulièrement au système conventionnel relatif aux Droits de l’homme. Les éléments fondamentaux de l’Etat sont objectifs:

Un territoire défini, une population, un gouvernement et la capacité de nouer des relations avec d’autres Etats. Un nouvel Etat doit être économiquement viable et se conformer aux droits de l’homme et au droit international.

L’autodétermination en tant que droit international péremptoire

Le droit international moderne sur l’autodétermination constate que celle-ci, en tant que droit international péremptoire (jus cogens), est un droit des peuples et non une prérogative des Etats qu’ils pourraient accorder ou refuser. L’autodétermination est une expression de la démocratie, comme la démocratie est elle aussi un mode d’autodétermination. Cependant, ce droit – comme tous les droits – n’est pas directement applicable. Il nécessite l’exercice d’un contrôle efficace qui parfois ne peut être obtenu qu’en menant une guerre couronnée de succès, comme au Bang­ladesh en 1971, ou peut échouer, comme au Sri Lanka en 2009 dans le cas des Tamouls.

Le droit à l’autodétermination a été et continue d’être nié impunément, tout autant que le jus cogens sur l’interdiction de l’emploi de la force inclus dans l’article 2(4) de la Charte de l’ONU, lui aussi bien trop souvent enfreint impunément. Cela a été le cas en 2003, lors de l’invasion illégale et du bombardement de l’Irak, ce que le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a dénoncé à juste titre comme une «guerre illégale». La violation du droit d’autodétermination ou de l’interdiction de l’emploi de la force ne diminue pas la valeur légale de la norme du droit international. Cela rend simplement manifeste une fois encore le manque de mécanismes d’application dans le système des Nations Unies et le fait que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité restent souvent impunis.

L’intégrité territoriale est un principe central du droit international et des relations internationales, particulièrement important lorsqu’il renforce la paix et la stabilité de la communauté internationale. Le principe en est lié à l’interdiction de l’emploi de la force, dans l’article 2(4) de la Charte de l’ONU, réaffirmé dans la Résolution 2625 de l’Assemblée générale concernant les Relations amicales et la Résolution 3314 qui inclut la définition de l’agression. Le principe d’intégrité territoriale signifie qu’aucun Etat ne peut empiéter sur l’intégrité territoriale d’un autre Etat. Mais le principe ne peut être invoqué contre un peuple recherchant l’autodétermination. Il est appliqué contre des menaces extérieures et non à l’interne, car ce serait incompatible avec l’article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (HCDH) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Il ne peut pas justifier la soumission continue de minorités ou de peuples sous occupation. Quand un peuple lutte pour son autodétermination interne ou externe, la communauté mondiale devrait en faciliter la réalisation et empêcher ainsi un conflit local de devenir une menace pour la paix régionale ou internationale. En cas de conflit entre le principe d’intégrité territoriale et l’autodétermination, c’est cette dernière qui prévaut.

Une mesure essentielle de prévention des conflits réside dans une approche opportune de l’aspiration de peuples à l’autodétermination, comme on en a eu la preuve lors des innombrables guerres qui se sont déroulées depuis 1945 et dont l’origine provenait du refus d’accepter l’autodétermination. La meilleure façon de savoir si une population veut l’autonomie ou l’indépendance est d’effectuer un référendum. Les Nations Unies ont mené à bien ce type de référendums en Ethiopie/Erythrée, au Timor Leste et au Sud-Soudan, mais seulement après que des dizaines de milliers de personnes aient péri au cours de la guerre. Il aurait été préférable d’avoir servi d’intermédiaire en temps voulu et d’avoir organisé des référendums avec toutes les garanties et les contrôles exigés.

Développement au cours d’un siècle

Certains anciens professeurs de droit international veulent arrêter le développement progressif du droit international en affirmant que l’autodétermination s’applique uniquement à la décolonisation. Tous ceux qui connaissent le développement de la norme au cours du siècle passé hocheront la tête, car la loi est une chose vivante. Nous ne vivons plus au temps de la Déclaration d’Indépendance de l’Estonie de 1918, des pieuses déclarations d’intention de la Société des Nations concernant le système de protection des minorités … L’article 3 du Pacte atlantique de 1941, plus tard inscrit dans la Déclaration des Nations Unies de 1942, était pourtant un développement prometteur, tout comme l’article  1(2) de la Charte des Nations Unies et le chapitre XI de la même Charte concernant les peuples non-autonomes.

Ce qui a suivi a été un continuel développement vers la liberté des peuples à décider de leur avenir par le plébiscite ou le référendum. Nous nous remémorons la Résolution 47 du Conseil de sécurité sur un plébiscite dans le Cachemire, la Résolution 194 (III) de l’Assemblée générale sur le droit au retour des Palestiniens, la résolution 1514 de l’Assemblée générale sur la Décolonisation (1960), la guerre perdue des Igbos pour l’autodétermination et l’indépendance du Biafra en 1967–70, la déclaration d’indépendance du Bangladesh en 1971 et la Guerre indo-pakistanaise, l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (HCDH) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) en 1976, dont l’article 1 commun proclame l’autodétermination des peuples.
Nous avons vu l’établissement de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) par la résolution 690 du Conseil de sécurité (1991); le référendum d’indépendance et la sécession du Nagorno Karabakh (Haut-Karabagh) en 1988, les guerres contre l’Azerbaïdjan qui ont suivi en 1992–94, y compris la médiation de l’OSCE; la dissolution de l’Union soviétique en 15 républiques, les guerres de 1991–92 et les déclarations unilatérales d’indépendance de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, les déclarations unilatérales d’indépendance des régions séparatistes de la Yougoslavie, de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine débouchant suite à des conflits armés.

Nous avons aussi vécu la séparation amicale des Républiques tchèque et slovaque en 1993; le référendum érythréen de 1993; le référendum d’autodétermination du Québec en 1995; le bombardement de la Serbie par l’OTAN en 1999 et le démembrement de son intégrité territoriale; le référendum d’indépendance au Timor Leste en 1999; le référendum du Monténégro en 2006, la guerre d’indépendance avortée des Tamouls du Sri Lanka entre 1983 et 2009; la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008 et l’Avis consultatif de la Cour internationale de Justice en 2010; le référendum du Sud-Soudan en 2011; le référendum de Crimée en 2014 et sa réintégration en Russie; la séparation de facto du Donetsk et de Lougansk d’avec l’Ukraine en 2014; le référendum écossais de 2014; le référendum du Kurdistan en 2017; le référendum catalan en 2017 etc. La liste de peuples aspirant à l’autodétermination est longue et il est dans l’intérêt de tous de ne pas enfouir notre tête dans le sable, mais au contraire de prévoir leurs besoins et de proposer des solutions adéquates.

A partir de maintenant, les Nations Unies, l’Union européenne, l’Organisation des Etats américains, l’Union africaine, l’OSCE et les autres organisations internationales devraient développer des mécanismes d’«alerte précoce» et faire des offres de médiation et de bons offices pour résoudre les conflits d’auto­détermination avant qu’ils ne dégénèrent en confrontation violente. L’autodétermination peut être exercée en tant qu’autodétermination interne sous forme de fédéralisme incluant un haut degré d’autonomie, ou sous forme d’autodétermination externe par la partition. Un choix démocratique par référendum est un moyen civilisé de mettre en œuvre ce droit qui est si essentiel pour la paix durable.

Alfred de Zayas est Expert indépendant des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable.