Je tiens à d’abord à remercier le de m’avoir honoré avec ce prix qui porte le nom d’une grande patriote et combattante pour la liberté, la paix et la démocratie, Victoire Ingabire Umuhoza. Mais je tiens aussi à féliciter le Réseau pour son travail remarquable. Comme Victoire, vous et votre travail nous inspirent de poursuivre ce combat. Vous êtes contagieux et je vous en remercie.
Dans moins d’un mois, nous marquerons le 25e anniversaire de ce qui a été le pire acte terroriste des années 1990, et qui est devenu le plus grand scandale politico-médiatique du dernier quart de siècle. Un scandale qui s’aggrave chaque jour qui passe.
Vous savez de quoi je parle : l’attentat du 6 avril 1994 où deux chefs d’État africains et leur entourage ont été tués. Sans cet attentat, nous ne serions pas ici; Victoire Ingabire Umuhoza n’aurait jamais fait de la prison; et, en toute probabilité, le Rwanda aurait pu espérer vivre ce dernier quart de siècle en paix, le Rwanda mais aussi ses voisins, en particulier le Congo et le Burundi
On parle ici d’un triple crime : 1) l’attentat; 2) l’étouffement de la vérité et les mensonges sur cet attentat et 3) les conséquences funestes inouïes.
En tuant Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira le 6 avril 1994, les assassins ont tué tout espoir de paix et de résolution démocratique du conflit qui avait accablé le pays depuis l’invasion du 1er octobre 1990. Une paix négociée et signée sous la soi-disant bienveillance de grandes puissances. Une paix qui aurait permis d’éviter tant de morts et tant de souffrances, qui aurait permis un partage du pouvoir.
En droit, cacher un crime est aussi un crime. Étouffer la vérité, mentir au sujet de ce premier crime est aussi dévastateur que le crime lui-même parce que cela permet aux criminels de poursuivre leurs visées meurtrières. Nombreux sont les individus, les institutions, les pays et les médias qui sont coupables de ce crime, soit d’étouffer la vérité.
Dès les premiers jours suivant l’attentat, le New York Times, un journal qui revendique le titre ronflant de « journal de référence », a donné le ton, et je le cite : « la thèse crédible, c’est que les deux présidents ont été tués par des extrémistes hutus du Rwanda qui s’opposent à la réconciliation avec les Tutsis » (NYT, 23 avril 94).
Figurez-vous que 25 ans plus tard, nous pataugeons toujours dans la même boue mensongère au sujet de l’attentat du 6 avril. Pourtant, tout est là, pour prouver le contraire, soit que le Front patriotique rwandais sous Paul Kagame a abattu l’avion : qu’on mentionne seulement l’équipe dite nationale de Michael Hourigan pour le Tribunal pénale internationale sur le Rwanda; l’enquête Bruguière; les documents révélés par Judi Rever; les déclarations de Carla Del Ponte et le sort qui lui a été réservé; même le TPIR a abandonné cette lubie dés le début de son mandat – il n’avait pas la moindre preuve en ce sens.
Les vraies preuves ne laissent pas la moindre doute à savoir que l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame et son armée en sont les auteurs. Leur but et celui de ses parrains, était, coûte que coûte, de mettre fin pour toujours à la paix d’Arusha, d’éliminer tout partage de pouvoir prévu dans cet accord et d’établir une puissance militaire capable de dominer toute la région. Non pas pour le bien-être des Rwandais, des Burundais et des Congolais, mais pour le bien-être – ou devrais-je dire l’enrichissement – de leurs parrains et de leurs agents rwandais. Qui sont ces parrains? La meilleure indication vient de l’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, qui m’a dit en entrevue : « Le génocide rwandais est à 100 % la responsabilité américaine », en ajoutant que les Britanniques ont aidé.
Le troisième crime, ce sont les conséquences — le temps me manque pour les résumer. En bref, ces conséquences englobent tous les morts au Rwanda; l’exode de millions de Rwandais, surtout vers le Congo ; les tueries faites par l’actuel régime rwandais au Congo ainsi que des exécutions extraterritoriales sélectives ailleurs; la chasse implacable des réfugiés et le harcèlement incessant que ce régime continue à faire à tout rwandais qui ose contester sa version de la tragédie rwandaise. Le régime de Kigali le fait à l’intérieur du pays, mais aussi partout au monde, et particulièrement en Belgique, en France, en Suède, au Canada et aux Etats-Unis, pour ne nommer que ceux-là, avec l’aide des systèmes juridiques de chaque pays. Le prétexte chaque fois : « l’impunité ».
IMPUNITÉ : voilà un mot qui a été dans tous les médias et sur toutes les lèvres depuis l’attentat. Il ne peut avoir de paix, de réconciliation, dit-on, si les responsables de la tragédie restent impunis.
Or à ma connaissance, jamais un mot n’a été détourné et vidé de son sens comme celui-là.
Face à ce triple crime, quelle a été la réaction des autorités politiques du Rwanda, et des grandes puissances qui le parrainent? On accordé l’impunité totale aux vrais criminels et criminalisé bonnes personnes.
- On a criminalisé et incarcéré dans des colonies pénales ceux et celles qui ont essayé de recoller les morceaux après l’attentat, de rétablir la paix afin de mettre fin aux tueries et à l’anarchie qui existait après l’attentat du 6 avril
- On a criminalisé celles et ceux qui, comme la grande patriote dont le prix porte le nom, souhaitent faire le deuil de toutes les personnes mortes à la suite de cet attentat
- On a criminalisé des enquêteurs et des témoins de la défense travaillant pour le TPIR
- On a criminalisé celles qui, comme Victoire Ingabire Umuhoza ou Diane Rwigara, qui ont décidé, avec courage et au nom de la démocratie, de se présenter aux élections rwandaises contre le dictateur rwandais Paul Kagame.
- On tente de criminaliser toute une génération de Rwandais nés après 1994 de parents ayant fui le Rwanda de Kagame.
- On harcèle et tente de criminaliser ceux et celles qui enquêtent, qui cherchent la vérité sur cet attentat et ses suites et qui en parlent. Notre amie, Judi Rever, en est un exemple remarquable.
- On tente de criminaliser le simple fait de dire : « Un instant, Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali ».
IMPUNITÉ, dîtes-vous? Sur le compte Twitter de la Cour pénale internationale du 18 février 2019, on peut lire ceci: « Rencontre productive entre Procureur CPI Fatou Bensouda & Son Excellence Paul Kagame, Président du Rwanda, en marge de la Conférence de Munich sur la sécurité. » Sous ce Tweet on voit une photo tout sourire du dictateur sanguinaire Kagame et Fatou Bensouda, soit celle-là même à qui on confié la responsabilité de mettre fin à l’impunité.
Mais le monde change rapidement; l’espoir est permis. Victoire Ingabire Umuhoza a été libérée. Diane Rwigara a été libérée. Ailleurs en Afrique et dans le monde, on voit des signes positifs : l’époque qui a permis à des criminels comme Kagame et à son principal soutien, Washington, de faire la pluie et le beau temps en Afrique et ailleurs tire à sa fin.
Le proverbe dit : « Qui combat la vérité sera vaincu. » Or son contraire est aussi vrai. « Qui défend la vérité sera vainqueur. » De plus en plus de monde cherchent la vérité contre vents et marées, la retrouvent et la révèlent.
Armés de cette vérité et du courage, de la détermination et de la confiance de personnes comme Victoire Ingabire Umuhoza, nous serons en mesure de vaincre.
En quoi consistera cette victoire? La liberté, la paix et la démocratie pour le Rwanda et ses voisins.
Merci Beaucoup.
Source: Réseau international des femmes pour la Démocratie et la Paix (RifDP)