Introduction
Dans un monde où l’information est pouvoir, la vérité se vend trop souvent comme une marchandise. Cet essai parle du Rwanda — de voix réduites au silence, de faits déformés, et d’une communauté internationale plus soucieuse de protéger ses intérêts que d’affronter la réalité. Les marchands de la vérité dévoilent le théâtre politique qui se cache derrière la diplomatie et les médias, là où de puissants intérêts réécrivent l’histoire et sacrifient la justice.
Ce qui suit ne cherche pas seulement à mettre en lumière les récits oubliés et tus du Rwanda, mais aussi à inviter à regarder d’un œil critique les versions qu’on nous présente comme indiscutables. La vérité ne mérite pas le masque : elle exige du courage, de l’attention et la volonté de reconnaître le visage sombre du pouvoir — même lorsque cela dérange.
Paul Kagame : architecte d’une machine de guerre
Au cœur de l’Afrique se trouve Paul Kagame, président du Rwanda, devenu depuis les années 1990 l’un des pions les plus habiles, cyniques et intouchables du nouvel ordre mondial néocolonial. Formé aux États-Unis et chef du Front Patriotique Rwandais (FPR), Kagame prit le pouvoir par la voie militaire à la suite de sa guerre d’invasion et du génocide de 1994.
Les institutions internationales et les médias occidentaux le présentent comme le visage d’une prétendue « success story africaine ».
Mais derrière cette image se cache un régime répressif : sous son autorité, le Rwanda s’est transformé en un État policier où l’opposition politique, la presse libre et l’espace civique sont systématiquement écrasés.
Le pillage du Congo
Les guerres qui en ont découlé — les deux guerres du Congo, la longue occupation de l’est du pays et la perte directe ou indirecte de six à dix millions de vies (nul ne le saura jamais avec certitude) — ne sont ni des dérives tragiques ni de simples « dommages collatéraux ». Elles constituent le résultat prévisible d’un projet géopolitique délibéré : le pillage systématique de l’une des régions les plus riches en ressources de la planète.
Coltan, or, cobalt, cassitérite, diamants, uranium — en République Démocratique du Congo (RDC), ces minerais sont les moteurs silencieux de nos téléphones portables, de nos batteries, de nos satellites et de nos systèmes d’armement. Et qui contrôle les mines du Kivu ? Ni l’État congolais, ni, encore moins, la population locale.
Ce sont les entreprises étrangères, les seigneurs de guerre locaux, les structures intermédiaires rwandaises — et leurs collaborateurs congolais — qui tiennent les rênes de ce commerce meurtrier.
Complicité internationale
Le rôle de Paul Kagame comme prétendu « allié stable » de l’Occident l’a protégé pendant des années de toute critique internationale sérieuse. Il est entouré d’un réseau protecteur d’alliances diplomatiques, d’intérêts stratégiques et de groupes de pression parfaitement huilés à Washington, Londres, Paris et Bruxelles.
Même au sein de l’Union européenne et des Nations unies — où des preuves abondantes et répétées de graves violations des droits humains et d’actes de terreur ont été réunies — règne une remarquable réticence. Les rapports disparaissent dans les tiroirs, la terminologie se fait plus douce, les responsabilités s’évanouissent.
La presse internationale — bien qu’elle dispose de sources et de témoignages suffisants — reste attachée au récit du « réformateur visionnaire » qui aurait apporté la stabilité après le génocide.Cette image est entretenue par des machines de relations publiques, des échanges diplomatiques et de puissants intérêts économiques dans la région.
La réalité du terrain — la répression au Rwanda et les massacres à l’est du Congo — peine à percer dans le débat public. Quelques critiques se font entendre, certes, mais à voix basse, et rarement de manière structurée.
Les spécialistes de la région qui osent nommer cette face sombre — ou évoquer le célèbre Rapport du Projet Mapping des Nations unies (2010), documentant plus de six cents massacres commis par des troupes rwandaises au Congo, dont certains qualifiés de « possiblement génocidaires » — sont ignorés, discrédités ou réduits au silence.
La pression diplomatique, les manœuvres géopolitiques et les intérêts économiques l’emportent sur le cri de la justice.
Une nouvelle vague d’annexion
Paul Kagame prépare aujourd’hui une nouvelle vague d’expansion en Afrique centrale. La province congolaise du Nord-Kivu — trois fois plus vaste que le Rwanda et riche en coltan, en or et en autres minerais stratégiques — est, en réalité, occupée.
La ville de Goma, nœud logistique et économique vital, se trouve entièrement sous le contrôle de l’armée supplétive M23, soutenue par le Rwanda. Cette milice coopère ouvertement avec les forces armées rwandaises sous le prétexte de répondre à des « menaces sécuritaires », mais elle sert en fait de couverture à une annexion militaire et économique systématique.
Le regard de Kagame se tourne déjà vers le Sud-Kivu. La ville de Bukavu — symbole culturel, stratégiquement située sur les rives du lac Kivu et à deux pas de la frontière burundaise — est, elle aussi, infiltrée et contrôlée. Si la communauté internationale continue à observer sans intervenir, une nouvelle réaction en chaîne s’annonce : une reconfiguration des frontières africaines, dictée par le pouvoir, les ressources et le silence géopolitique. Et tout laisse croire que tel sera le cas.
Pendant ce temps, la communauté internationale demeure enveloppée dans un silence complice. Les capitales européennes réagissent par des déclarations prudentes et calculées, comme si elles craignaient que le poids moral de leurs mots ne mette en péril leurs intérêts économiques.
Elles parlent de stabilité et de coopération, tout en signant des accords, en défendant leurs intérêts et en envoyant des émissaires qui ne posent aucune question.
Kagame stabilise le chaos juste assez pour permettre les investissements étrangers et l’extraction des ressources, tout en sabotant systématiquement toute reconstruction d’un pouvoir central congolais fort. Son agression ne sert pas seulement ses propres ambitions : elle profite aussi à ceux qui se cachent derrière lui — multinationales, partenaires stratégiques et planificateurs géopolitiques.
Pas une tragédie africaine, mais un échec occidental
Cette tragédie sanglante — des millions de morts, des viols atroces, des corps mutilés, des âmes brisées — n’est pas une catastrophe purement africaine. C’est un échec incontestable de l’Occident. L’Europe, les États-Unis et leurs puissances financières ne sont pas de simples spectateurs : ils sont les complices de ce cauchemar.
Leur silence est un choix conscient, une approbation tacite de la torture et du pillage qui s’y perpétuent. Les armes qu’ils fournissent, les milices qu’ils soutiennent, les réseaux diplomatiques qu’ils tissent : tout cela fait partie d’un plan systématique visant à contrôler et à exploiter les richesses du Congo, quel qu’en soit le prix.
La main qui remet l’arme est la même que celle qui rédige ensuite le rapport destiné à la dissimuler. Mais il ne s’agit pas seulement d’un échec occidental. Les États africains détournent eux aussi le regard devant le massacre qui se déroule sur leur propre continent. Certains dirigeants vont jusqu’à s’inspirer chez Kagame : ils répètent ce que leurs ancêtres firent jadis, en collaborant avec les trafiquants d’esclaves, en trahissant et en vendant leur propre peuple au plus offrant.
C’est là la vérité amère : cette tragédie s’enracine profondément dans un système d’intérêts, de trahisons et de pouvoirs nourris à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. Tant que ces forces placeront le profit au-dessus de la valeur de la vie humaine — et tant que les dirigeants africains n’auront pas le courage de rompre avec les vieux schémas de soumission et de complicité —, le continent demeurera prisonnier d’un cauchemar que nul ne semble capable d’interrompre.
Emmanuel Macron et la révérence devant Paul Kagame
Ce qui se présente comme une « reconnaissance courageuse » du rôle de la France dans la tragédie rwandaise n’est, en réalité, qu’un spectacle diplomatique parfaitement orchestré. La prétendue réconciliation qu’Emmanuel Macron cherche à instaurer n’est rien d’autre qu’une révérence devant le régime de Paul Kagame — un régime qui use de la propagande, de la répression et d’alliances stratégiques internationales pour échapper à toute critique et à toute justice.
À ce jour, la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye n’a émis aucun mandat d’arrêt contre Kagame. Pourtant, les partis rwandais de l’opposition en exil ont officiellement demandé à la Cour de le poursuivre pour crimes de guerre commis en République démocratique du Congo. La CPI a confirmé la réception de ces plaintes, tout en précisant qu’elle reçoit chaque année des centaines de communications de ce type, toutes traitées selon la même procédure. Jusqu’à présent, elle n’a pas trouvé le temps de se pencher sur ce dossier. Il faut d’ailleurs rappeler, à juste titre, que le Rwanda n’est pas partie au Statut de Rome — le traité fondateur de la Cour — et n’a donc aucune obligation de coopérer avec elle.
Revenons cependant à Macron. Sa visite à Kigali, le 27 mai 2021, et ses paroles sur « la nécessité de reconnaissance, de vérité et d’humilité », furent avant tout un exercice d’image destiné à redorer le blason de la France. Dans le même mouvement, Kagame fut présenté comme un dirigeant incontestable, alors même que son régime est tristement célèbre pour éliminer systématiquement ses opposants, réprimer la liberté d’expression et mépriser les droits humains les plus élémentaires.
Cette révérence diplomatique légitime un appareil de pouvoir responsable de nouvelles formes de violence et de répression, tant à l’intérieur du Rwanda que dans l’ensemble de la région des Grands Lacs. Ainsi, la scène internationale se transforme en façade où le pouvoir et les intérêts pèsent plus lourd que la vérité, la justice et la conscience historique.
La véritable réconciliation — celle qui exige justice pour les victimes et transparence totale sur l’ensemble des crimes — reste à venir. En attendant, la « révérence » de Macron devant un criminel de guerre n’est qu’un geste triste et vide : la confirmation d’un statu quo politique qui fait taire la voix des opprimés et celle de la vérité elle-même.
Entre la colère et la grâce
Je considère Paul Kagame comme le plus grand massacreur que l’Afrique ait connu.Aucun autre dirigeant n’a fait tuer autant de personnes, de manière aussi délibérée et avec une telle impunité internationale — au Rwanda, au Congo, dans les camps de réfugiés, dans les villages silencieux et les forêts oubliées. Son régime a laissé derrière lui une traînée de mort et de peur, soigneusement dissimulée sous le charme diplomatique et un réseau mondial d’amitiés politiques.
Celui qui se tait ou détourne le regard devient complice de cette destruction systématique de vies humaines. Mais que faire de cette colère ? Que faire de ce feu intérieur qui se rallume chaque fois que j’entends un témoignage, que je lis un rapport ou que je vois une image de ce qui s’est passé — et de ce qui continue de se passer ?
Je confesse être incapable de rendre vraies les paroles de Jésus : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »
Cette phrase m’étrangle comme une pierre dans la gorge. Comment pardonner l’inhumain ? Comment offrir le pardon à celui qui ne montre aucun repentir, dont les mains portent encore la trace du sang ?
Jésus dit qu’il est venu pour les pécheurs ; qu’il les cherche non pour justifier leur mal, mais pour les relever de leur nuit. Eh bien, si cela est vrai — et je crois que cela l’est —, alors qu’il se charge de cet homme, car moi, je ne le peux pas.
Je ne veux pas le laisser seulement entre les mains de la justice, des rapports et des tribunaux, mais je ne veux pas non plus que l’amertume s’installe dans mon âme comme une plaie qui suppure.Pardonner — simplement — je ne le peux pas.
Peut-être que la grâce commence ici : dans la reconnaissance que mon cœur ne suffit pas, que mes mains sont trop petites pour porter un tel poids. Le Christ sait mieux que moi ce qu’il faut faire d’une culpabilité pareille. Qu’il la porte, comme il a porté la croix. Qu’il le regarde comme lui seul sait regarder : avec des yeux de justice et de miséricorde, sans trahir la vérité. Et que moi, tant que je ne le peux pas, il me garde dans cette tension entre la colère et l’espérance, entre le cri pour la justice et le désir de paix.
Une audience pleine de confusion morale
Le 20 mars 2017, le pape François reçut en audience solennelle au Vatican le président rwandais Paul Kagame. Au cours de cette rencontre, le pape exprima sa « profonde douleur » pour le génocide commis contre les Tutsis en 1994. Il demanda pardon pour les péchés et les fautes de l’Église et de ses membres — en particulier des prêtres et des religieux — qui « ont succombé à la haine et à la violence, trahissant leur vocation évangélique ». J’en suis presque tombé de ma chaise.
Ces paroles, touchantes en elles-mêmes, prennent un goût amer lorsqu’on considère à qui elles étaient adressées : non pas aux victimes — celles qui auraient eu le plus besoin d’entendre cette consolation —, mais à Paul Kagame, le tyran rwandais, le Puppet Master derrière des décennies de sang versé. L’un des principaux responsables, non pas quelqu’un qui demandait pardon, mais quelqu’un qui le recevait — avant même d’avoir rendu des comptes.
L’homme qui, depuis le 1er octobre 1990, a déclenché un flot ininterrompu de mort et de destruction, non seulement au Rwanda, mais aussi dans le pays voisin, le Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo.
Une comparaison dérangeante
Imaginons ceci : que dirait-on aujourd’hui si le pape Pie XII avait demandé solennellement pardon à Adolf Hitler pour les « crimes » des Juifs du ghetto de Varsovie, ou aux résistants français qui avaient combattu l’occupation nazie ? En Espagne, je préfère ne pas y penser.
Cette comparaison n’est pas arbitraire. Elle est dure, même amère, mais elle touche au cœur de ce que devrait être le véritable discernement moral. Celui qui s’aventure vraiment dans les faits — celui qui perçoit les manipulations, les réseaux d’intérêts idéologiques et économiques, et démasque les mensonges massifs — verra que l’histoire du Rwanda et du Congo ne peut se raconter en noir et blanc. Les atrocités du Front Patriotique Rwandais ne sont pas moindres que les horreurs qu’il prétendait combattre.
Il est donc douloureux de constater que le pape François, dans ses déclarations publiques, n’a jamais reconnu la souffrance des victimes hutues. Des millions de réfugiés hutus — affamés, massacrés, violés, expulsés au nom de la « paix » —, qui les a comptés ? Pourquoi demeurent-ils, même dans la prière du Pape, anonymes et invisibles ?
Car depuis trente ans, on nous a inculqué une vérité officielle : les Hutus seraient collectivement des « génocidaires », dangereux pour l’État. Il n’y a plus de place pour la nuance, ni pour la mémoire, ni pour la masse écrasante de la documentation sur les crimes de l’armée de Kagame. Pas davantage de place pour la réconciliation.
Leur souffrance est niée, leur sang vaut moins, leur douleur est moins sacrée.Ils ont été collectivement déshumanisés, effacés moralement comme un fardeau qu’il convient de tenir à distance.
Sur le silence de Rome
Et que dire des nombreux prêtres, catéchistes et simples villageois qui furent systématiquement assassinés par le Front Patriotique Rwandais ? Et des évêques qui, à l’instar de leurs troupeaux, furent exterminés sans pitié ? Et des enfants qui moururent sous les balles perdues d’une guerre qui, officiellement, ne devait pas porter de nom, mais qui déchaîna un enfer sans fin ?
L’illusion de la diplomatie avec des guerriers
Il est frappant de constater que, non seulement au début de l’invasion du FPR, mais encore aujourd’hui, de nombreux diplomates continuent — et prétendent continuer — à dialoguer avec ces seigneurs de la guerre, les Inkotanyi, au sujet de démocratie et de diplomatie, comme s’ils conversaient avec des collègues installés dans les confortables fauteuils rouges des salons ministériels.Comme s’il s’agissait d’interlocuteurs civilisés, inscrits dans les normes des États et les codes des protocoles.
Mais les guerriers appartiennent à un autre monde — un monde très ancien, qui ne se situe pas à l’intérieur du nôtre, mais plutôt à sa marge, comme une réalité parallèle. Poursuivre le dialogue n’est pas, en soi, une erreur, à condition d’avoir conscience que l’interlocuteur est totalement indigne de confiance. Sans cette conscience, le dialogue devient une farce où tout véritable progrès est impossible.
En réalité, les sanctions, l’isolement diplomatique et la pression ciblée ont bien plus d’impact que d’interminables conversations qui, la plupart du temps, ne mènent à rien et ne produisent presque jamais de conséquences réelles.
La culture d’un guerrier ne peut jamais être celle d’une civilisation. Elle ne se laisse pas enfermer dans des définitions, des normes ou des idéaux éclairés. Ce que nous appelons culture guerrière n’est pas une idéologie, mais une manière d’être, une attitude vitale. Comme l’amour, les valeurs ou la beauté : on ne peut la définir, mais on la reconnaît lorsqu’elle se manifeste. Elle s’impose par la force — celle de la violence ou de l’honneur —, jamais par la patience du dialogue. Et celui qui la confond avec la raison politique court le risque de se livrer — et de livrer son peuple — à une logique qui ne connaît rien de la paix. Celui qui ne reconnaît pas cette différence, celui qui s’adresse à des guerriers comme s’ils étaient des interlocuteurs réformables au sein d’un processus démocratique, perd non seulement sa boussole morale, mais risque encore de devenir complice de leur logique. La diplomatie cesse alors d’être un pont vers la paix pour se transformer en masque de la politique de puissance et de la terreur.
La morale du puissant
C’est cette morale autosuffisante du puissant qui s’est élevée au-dessus de l’être humain qui souffre — une morale qui, docilement et avec un incompréhensible visage impassible, se ferme à la réalité brûlante qui consume les marges de la société.
Un massacre dans le silence. Une réalité génocidaire qui, chaque jour, s’étend davantage — invisible pour le reste du monde, toujours dissimulé derrière un voile d’ignorance complaisante. Aujourd’hui (2025), on parle de 250 000 nouveaux déplacés en République démocratique du Congo, une tragédie qui vient s’ajouter aux chiffres déjà effarants de plus de six ou sept millions de déplacés précédents.
La hiérarchie de l’indifférence ! Ces millions de morts et ces millions d’êtres déracinés sont les témoins muets d’un système qui non seulement les a abandonnés dans leur misère, mais qui, en essence, les efface. Dans une terrifiante hiérarchie d’indifférence, qui traverse jusqu’à la mesure même de leur souffrance, ils comptent, pour notre prétendue « communauté internationale », encore moins que les souffrances du peuple palestinien — image tragique de la manière dont les atrocités d’une région ou d’un peuple pèsent moins que celles d’un autre, selon les intérêts politiques et les calculs géopolitiques.
L’ombre de la « Communauté internationale »
Cette « communauté internationale » — ainsi appelée, jamais clairement définie, et érigée en oracle moral du monde moderne — se présente comme la sauveuse de l’humanité, la gardienne des droits de l’homme et la médiatrice de la paix. Mais derrière cette façade solennelle se cache un corps empoisonné, profondément enraciné dans les horreurs historiques et les manipulations géopolitiques du XXᵉ siècle. Sa véritable nature s’est douloureusement révélée ici aussi, dans la tragédie rwandaise, où — malgré ses résolutions, ses accords de paix et ses déclarations — elle observa, se tut ou même se rendit complice.
C’est cette même communauté « incontestable » que le candidat au prix Nobel de la paix Joan Carrero décrit avec justesse comme L’Heure des grands « philanthropes » : une époque où le véritable pouvoir se déguise en charité.
Les responsables d’avoir permis — et, dans certains cas, soutenu structurellement — les campagnes impitoyables du Front Patriotique Rwandais (FPR) se cachent aujourd’hui derrière des masques de diplomatie et de philanthropie. Ils ont légitimé le langage guerrier des Inkotanyi comme une « libération », leurs atrocités comme une « transition nécessaire », leur idéologie comme un « progrès ».
Ce qui, dans son essence, fut une prise de pouvoir militaire — organisée, financée et appuyée par des alliés à Washington, Londres, Kampala, Paris et Bruxelles — fut vendu au monde comme un processus de paix. Dans les salons diplomatiques, on parlait de « réconciliation », tandis que les fosses communes fumaient encore.
Au lieu de résistance, il y eut vénération : Paul Kagame devint le visage d’un nouvel ordre africain, l’incarnation de l’efficacité, de la modernité et de la stabilité, tandis que son régime éliminait systématiquement l’opposition, repoussait les réfugiés vers la mort et installait la terreur au cœur même des institutions de l’État.
Pendant ce temps, la machine de propagande tournait à plein régime. Hollywood et les grands conglomérats médiatiques ne produisirent pas des récits de vérité, mais des récits de justification. L’opinion publique ne fut pas éclairée, mais manipulée ; non pas éveillée, mais endormie.
Ceux qui osèrent remettre en question la version officielle — ceux qui parlèrent de l’assassinat du président Habyarimana, du rôle du FPR dans les massacres ou des procès sélectifs du TPIR — furent traités de révisionnistes, de négationnistes, voire de complices.
Les respectables universitaires, journalistes et conseillers politiques — professeurs installés dans les universités et think tanks d’Europe et des États-Unis — agirent comme les gardiens de ce mensonge. Dans leurs publications et leurs conférences résonne le langage du pouvoir : « développement », « stabilité », « bonne gouvernance » — autant de mots qui masquent la brutalité du terrain.
Les millions de victimes du régime — de Kibeho à Byumba, du Kivu aux prisons de Kigali — restent sans nom, parce qu’elles ne s’intègrent pas dans le récit de la Communauté internationale.
Mais viendra aussi pour ces architectes du camouflage l’heure de rendre des comptes.Le mal qu’ils ont causé n’est pas seulement physique : il ne se limite pas à des millions de morts, mais s’étend à la destruction du sens moral, à l’érosion de la vérité, à la dégradation d’une justice devenue instrument diplomatique.
Tant que cette mascarade se poursuivra, le monde continuera de glisser vers un ordre où la violence est récompensée, le victimisme manipulé, et la vérité systématiquement réduite au silence.
Serge Desouter (Anvers, Belgique) est missionnaire des Pères Blancs, prêtre et spécialiste du développement rural et de la coopération internationale. Il a travaillé pendant plus d’un demi-siècle en Afrique, principalement au Rwanda, au Niger et à Madagascar, en tant que chercheur, formateur et consultant pour des organismes internationaux tels que la FAO, le HCR, le PNUD et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Auteur de plus de trente ouvrages et de centaines d’articles, ses travaux abordent des thèmes liés à la spiritualité, à l’histoire africaine, à la justice internationale et au dialogue interculturel. Il réside actuellement en Belgique, où il poursuit son travail d’écriture et sa collaboration avec divers magazines missionnaires et de réflexion critique.
Photo: Serge Desouter
Rwanda, 20 ans après: l'histoire truquée (La voie de la vérité, 17.04.2014)