Bonsoir.
J’aimerais remercier sincèrement le Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix de m’avoir accordé ce grand honneur. C’est pour moi un immense privilège de recevoir ce prix qui porte le nom de la courageuse et inspirante dirigeante rwandaise Victoire Ingabire Umuhoza. Je dis « dirigeante » car elle devrait sans aucun doute être la dirigeante légitime de la République du Rwanda.
Il regrettable, honteux même, qu’au lieu de devenir la dirigeante élue du pays, Victoire Ingabire Umuhoza ait été interdite de se présenter aux élections, qu’on l’ait emprisonnée à tort dans des conditions inhumaines pendant huit ans, dont cinq en isolement, et qu’on lui impose de sévères restrictions. À ce jour, le gouvernement rwandais continue de bafouer la loi, faisant fi des décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui exigent réparation pour l’injustice subie et bafouant la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Je salue le travail inlassable du Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix, qui milite en faveur de la démocratie et de la paix au Rwanda et dans la région des Grands Lacs, et qui s’oppose à la répression de la démocratie au Rwanda, illustrée par les mauvais traitements infligés à Mme Ingabire Umuhoza. Le travail inlassable du Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix porte fruits : quelques jours après avoir écrit à la ministre canadienne des Affaires étrangères pour lui signaler la situation humanitaire catastrophique, notamment les violences sexuelles, qui sévit en République démocratique du Congo, le gouvernement canadien a annoncé, le 3 mars de cette année :
« Aujourd’hui, Affaires mondiales Canada a convoqué le haut-commissaire du Rwanda au Canada pour lui faire part de la position du Canada quant à la violation manifeste par le Rwanda de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RDC, et pour informer le Rwanda de ces mesures. »
Le Canada exprime rarement son opposition au gouvernement Kagame, et je suis convaincu que l’intervention du Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix a été déterminante. En tant que Canadien, je lui suis reconnaissant.
C’est lorsque j’ai appris que le Front patriotique rwandais avait envahi le Rwanda depuis l’Ouganda en 1990 que j’ai commencé comprendre ce qui s’est passé – et qui se passe – au Rwanda. Ce fait m’a amené à remettre en question l’utilisation du mot « patriotique » dans le nom du Front. Cela m’a notamment amené à m’interroger sur la véracité de la propagande sur le conflit, constamment relayée par le gouvernement Kagame et reprise au Canada et aux États-Unis, entre autres pays.
Mais aussi c’est l’histoire des Accords d’Arusha qui m’ont troublé beaucoup. Après l’invasion du Front patriotique rwandais et de l’Ouganda, toutes les parties au conflit sont parvenues à un accord âprement négocié qui aurait conduit à des élections, à une démocratie multipartite et à la paix : les Accords d’Arusha. Ces accords étaient soutenus par des pays comme le Canada. Or, le 6 avril 1994, les présidents du Rwanda et du Burundi ont été assassinés, ainsi que d’autres, et un bain de sang s’en est suivi, à l’issue duquel le Front patriotique rwandais a pris le pouvoir. Les Accords d’Arusha ont été anéantis.
Malgré leur engagement déclaré envers les Accords d’Arusha, le Canada et d’autres pays, de concert avec le Front patriotique rwandais, ont abandonné les Accords et, avec eux, l’espoir de démocratie et de paix au Rwanda et dans la région des Grands Lacs. S’en est suivie une répression qui durait pendant des années au Rwanda et qui a pris au piège Victoire Ingabire Umuhoza et d’autres, et qui a entraîné la guerre en République démocratique du Congo.
J’ai agi à titre d’avocat principal de la défense lors de deux procès et de trois appels devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il m’est apparu clairement que les procès devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda n’allaient ni révéler la vérité sur les crimes de 1994, ni, comme c’est désormais évident, conduire à la paix et à la réconciliation au Rwanda. Bien qu’il soit largement admis que le Front patriotique rwandais était responsable de l’attentat meurtrier du 6 avril 1994, qui a déclenché des massacres et mis à mal les promesses des Accords d’Arusha, cet attentat n’a pas été admis devant cette Cour. En effet, et plus choquant encore, personne n’a jamais été jugé ni même inculpé pour ce crime d’une gravité exceptionnelle.
J’ai eu le privilège de travailler avec Ramsey Clark au Tribunal pénal international pour le Rwanda. Ramsey était le procureur général le plus éminent de l’histoire des États-Unis pour son rôle dans la lutte contre la ségrégation raciale. Il a déclaré que les poursuites engagées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda constituaient une « guerre par d’autres moyens ». Cette guerre continue. Toute la diaspora rwandaise est surveillée, intimidée et nombre d’entre eux sont emprisonnés, tandis que les États occidentaux soutiennent le régime autoritaire de Kagame. Nous nous retrouvons avec une justice unilatérale, celle du vainqueur : autrement dit, l’injustice.
Je suis convaincu que le travail du Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix et l’héroïsme de Victoire Ingabire Umuhoza mèneront à la victoire de la démocratie et de la paix au Rwanda et dans la région des Grands Lacs. Je suis honoré de recevoir un prix au nom de cette héroïne et j’espère en être digne. Merci encore pour ce magnifique prix.