L’ambassade de la République du Burundi à La Haye (Ambassadeur Vestine Nahimana, photo d’archive) exprime son mécontentement et regrette, suite aux informations qu’elle a reçues par les médias, que les juges de la Cour pénale internationale (« CPI ») aient rendu une décision autorisant le Procureur de la CPI à ouvrir une enquête sur des crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis au Burundi.
Le 9 novembre 2017, les trois juges de la Chambre préliminaire de la CPI ont publié une version publique de leur décision selon laquelle des crimes relevant de la compétence de la Cour auraient été commis pardes agents de haut rang de l’État burundais, d’autres groupes mettant en œuvre les politiques de l’État, y compris les le service national de renseignements, les membres des Imbonerakure, ou par des ressortissants burundais à l’extérieur de leur pays pendant que le Burundi était encore un État partie au Statut de Rome.
La décision des trois juges de la CPI a autorisé le Procureur de la CPI à étendre son enquête à tout crime relevant de sa compétence avant le 26 avril 2015, date à laquelle le parti au pouvoir a désigné le président Pierre NKURUNZIZA comme candidat aux élections présidentielles de 2015, et après le 26 octobre 2017, la date du retrait du Burundi de la CPI.
Le Burundi a connu des actes de violence sporadiques, à la fois en interne et également par les influences extérieures depuis Avril 2015, lorsque le Président NKURUNZIZAa été désigné comme candidat aux élections.
Le 27 octobre 2016, le Burundi a notifié son intention de se retirer de la CPI. Il était devenu évident pour le Burundi qu’au lieu d’être une institution judiciaire indépendante et impartiale, la CPI estdevenue un instrument et une arme politisée, utilisée par des pays forts, pour forcer les pays faibles à faire ce qu’ils jugeaient pour leurs propres intérêts.
En tant que État souverain et reconnu par le droit international, le Burundi a exercé son droit d’adhérer à la CPI le 1er décembre 2004. De même, le Burundi a exercé son droit en tant que pays souverain de se retirer de la CPI le 27 Octobre 2016. Selon les textes de la Cour pénale internationale, ce retrait a pris effet après le 27 octobre 2017.
Près de deux semaines après l’entrée en vigueur du retrait du Burundi de la CPI, le 9 Novembre 2017, la CPI a rendu publique sa décision autorisant son Procureur à ouvrir une enquête sur la situation au Burundi pour tout crime potentiel relevant des textes pertinents de la CPI ainsi que tous les crimes potentiels ayant eu lieu après le retrait du Burundi.
L’Ambassade de la République du Burundi à La Haye regrette profondément cette décision de la CPI autant qu’elle est mécontente de son contenu.
La rédaction du Statut de Rome s’est faite conformément à plusieurs règles et principes du droit international, la plupart de ces règles et principes ayant été codifiés dans la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Certains de ces principes en vertu du droit international ou du droit des organisations internationales exigent que les parties à un traité, ainsi que les traités eux-mêmes, soient interprétés de bonne foi, qu’un traité ne peut créer ni droits ni obligations pour un État sans son consentement.
Dans le contexte de la CPI, bien que les juges et la Cour aient reçu le pouvoir et la compétence d’interpréter le Statut de Rome, ce pouvoir n’est pas illimité, car la CPI est toujours un organe créé en droit international par les États, parmi lesquels le Burundi était membre.
À cet égard, l’Ambassade du Burundi à La Haye a relevé certains problèmes qui, à son avis, indiquent que la CPI a agi ultra vires.
Pour une Cour créée sous la notion fondamentale qu’elle est complémentaire des juridictions pénales nationales, il est préoccupant de constater que, bien que la Cour a reconnu les efforts déployés au Burundi en ce qui concerne la conduite des enquêtes nationales ainsi que des poursuites résultant des troubles d’Avril 2015, ils ont estimé que ces efforts étaient insuffisants pour plusieurs raisons, parmi lesquelles le fait qu’elles n’étaient pas suffisamment élaborées ou manquaient d’examens médico-légaux par exemple.
L’Ambassade de la République du Burundi à La Haye a été informée de l’autorisation de la CPI d’enquêter au Burundi par l’intermédiaire des médias le 9 novembre 2017.
La décision d’autorisation de la CPI note que « l’article 18 (1) du Statut stipule dans la partie pertinente que « lorsque le Procureur a ouvert une enquête au titre des articles 13, paragraphe c), et 15, le Procureur le notifie à tous les États Parties et aux États qui, selon les renseignements disponibles, auraient normalement compétence à l’égard des crimes dont il s’agit ». Les mots « notifier » signifient que le Procureur est tenu de procéder à une telle notification.
La décision poursuit en disant que « Néanmoins, la Chambre est également consciente de l’article 68 (1) du Statut, qui stipule dans la partie pertinente que « la Cour prend les mesures propres à protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes et des témoins. » « Tel que discuté, cette obligation s’applique également à l’étape de l’examen préliminaire. En conséquence, lorsqu’elle se prononce sur la demande du Procureur, la Chambre est tenue d’équilibrer l’obligation du Procureur d’informer les États dès qu’une Chambre préliminaire a autorisé l’ouverture d’une enquête avec l’obligation, qui incombe à la Cour dans son ensemble, de protéger victimes et témoins. »
En ce qui concerne ce qui précède, la détermination par la Cour par laquelle son devoir de protéger le bien-être des victimes et des témoins s’applique également au stade de l’examen préliminaire est une position difficile à concilier avec les discussions des travaux préparatoires du Statut de Rome, et en tant que tel, il s’agit d’une considération prise par la Cour agissant ultra vires.
La référence ou la considération faite par la Cour concernant de l’article 68 oblige la Cour en ce qui concerne ses devoirs à l’égard des victimes et des témoins dans le cadre d’une procédure pénale et non des enquêtes (pré). En effet, la Cour a noté que le Procureur n’est pas empêché de demander la protection des victimes et des témoins aux stades préliminaires ; toutefois, un tel devoir, s’il en existe, est seulement lié au Procureur et non à la Chambre de prendre une telle considération disproportionnée et en dehors des limites d’une procédure pénale.
En ce qui concerne le droit du Burundi en tant qu’État à être informé d’une enquête en vertu de l’article 18 du Statut, la Cour a décidé qu’un « équilibre entre les articles 18 (1) et 68 (1) du Statut exige que, dans le cadre de la situation particulière au Burundi, un délai de dix jours ouvrables à la demande du Procureur de la notification d’une décision autorisant une enquête et les États concernés soient accordés. […] que ce retard exceptionnel et limité dans la notification à fournir en vertu du paragraphe 1 de l’article 18 du Statut ne diminue en rien les droits accordés aux États en vertu de l’article 18 1) et 2) du Statut et les articles 52 à 54 du Règlement pour faire en sorte que leur compétence principale soit respectée, ce qui est l’objectif principal de l’article 18 du Statut. »
Il n’est pas clair comment l’effet juridique du droit d’un État au titre de l’article 18 pourrait être contourné si facilement. Ceci est une autre instance par laquelle la Cour a agi ultra vires.
L’article 16 du Statut, par exemple, qui prévoit une indication des circonstances dans lesquelles les procédures ou enquêtes peuvent être différées, confère ces pouvoirs au Conseil de sécurité des Nations Unies en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
Il est inconcevable que la Cour diffère ou restreigne unilatéralement les droits des États en vertu du Statut. Indépendamment des considérations qui ont été prises, un délai de 10 jours réduit les droits accordés aux États en vertu de l’article 18.
La Cour aurait pu choisir, était-il vraiment dans l’intérêt des victimes et des témoins présumés, et au paragraphe 18 (1), de fournir au Burundi des informations limitées au moment où l’autorisation a été accordée, soi-disant le 25 Octobre 2017. L’autorisation de la Cour pour ouvrir une enquête aurait été accordée un jour avant que le Burundi ne se retire légalement de la CPI. Cependant, la Cour a ignoré le droit du Burundi au titre de l’article 18, et le Burundi n’a été informé de l’autorisation d’enquêter que près de deux semaines après son retrait, en violation de ses droits et sa souveraineté.
Pour une institution comme la Cour pénale internationale qui repose sur la coopération des États, le précédent qui a été établi dans la situation au Burundi est très inquiétant.
De plus, l’allégation contenue dans sa décision concernant le prétendu « manque total de coopération internationale de la part des autorités burundaises » indique clairement que la Cour n’agit pas de manière impartiale, car elle veut aller jusqu’à ternir davantage l’image internationale du Burundi. Au cours de l’examen préliminaire, le Burundi a fourni des informations sur la base desquelles la Chambre a même formulé les conclusions concernant les mesures prises par le Burundi pour enquêter et poursuivre. La décision prise par la Chambre concernant le manque de coopération internationale à ce stade, est preuve de l’influence politique extérieure au sein de la CPI ainsi que le biais et le manque d’impartialité.
En ce qui concerne l’article 127 qui traite de la coopération après le retrait, la Décision note que « dans l’ensemble, l’article 127 (2) du Statut donne effet au principe énoncé à l’article 70 (1) (b) de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose que la dénonciation d’un traité « n’affecte aucun droit, obligation ou situation juridique des parties créées par l’exécution du traité avant son extinction ». »
Il est insoutenable que la Cour s’attende à violer les droits du Burundi en vertu de l’article 18 tout en s’attendant à ce qu’elle respecte les obligations prévues à l’article 127, et particulièrement lorsque le Burundi n’est informé de ces obligations qu’après son retrait. La décision autorisant l’enquête aurait été publiée le 25 octobre 2017. La seule notification reçue par le Burundi était celle diffusée par les médias le 9 novembre 2017. L’article 18 du Statut de Rome était violé de manière injustifiée.
La décision manque de soutien juridique, et dans le contenu, elle est motivée par des considérations politiques. En outre, il va bouleverser les efforts en cours en faveur de la paix, de la réconciliation et de la justice déployés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Union africaine et la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Bien que le Gouvernement de la République du Burundi reste guidé par les principes et les valeurs fondamentaux qui ont fondé la CPI, y compris l’état de droit et la lutte contre l’impunité, le Gouvernement du Burundi reste également déterminé à exercer ses droits en tant que pays souverain.
De ce qui précède, l’Ambassade de la République du Burundi à la Haye saisit cette occasion pour porter à la connaissance de l’opinion internationale que le Burundi ne coopérera jamais avec la CPI sur cette enquête.
Fait à La Haye, le 10 novembre 2017
Vestine NAHIMANA,
Ambassadeur