Mesdames et Messieurs, chers amis: J’ai passé plus de trente ans de ma vie dans l’activité politique à partir de différentes administrations publiques. Cela m’a permis de connaître et, dans certains cas, de partager les projets, les préoccupations, les espoirs, les problèmes de milliers de personnes et de nombreux groupes humains. Mais aucun m’a frappé, m’a captivé et m’a marqué personnellement plus que le conflit rwandais et, par extension, de la région de l’Afrique des Grands Lacs.
Au début des années 90, Joan Carrero, avec sa ténacité que nous connaissons, a commencé à réveiller les consciences des représentants institutionnels de Majorque. À ce moment, pour nous, les Grands Lacs étaient seulement un nom exotique, situé dans le cœur de l’Afrique, qui avait besoin d’une petite contribution financière ou une déclaration officielle grandiloquente pour faire appel aux institutions européennes et à l’Organisation des Nations Unies. Un cas de coopération internationale, peut-être pour rassurer nos consciences. Mais avec la plainte pénale déposée par la Fondation s’Olivar de Joan Carrero, l’Association pour les Droits Humains de Mallorca, Umoya et les associations des rwandais, le conflit atteint une nouvelle dimension: ce n’est pas, seulement, coopérer avec certains pays du Tiers Monde pour lutter contre la pauvreté et la faim. C’est aussi une question de justice. Rendre justice aux plus démunis de la terre, à ceux qui ont tout perdu: maison, famille, la vie, et pire encore, l’honneur de Peuple. Parce qu’il ne doit y avoir rien de plus atroce que d’avoir subi persécution et tentative d’extermination en tant que Peuple, et devoir charger avec les stigmates de l’exterminateur.
C’est dans cette perspective que l’Ordonnance du juge Fernando Andreu est une vraie révélation, car il nous dit ce qui s’est passé en Ouganda, au Rwanda, au Congo,… à partir de 1990, pas la seule année 1994. L’Ordonnance de la Cour raconte les actes de terrorisme, les massacres, les viols et les assassinats des présidents du Rwanda et du Burundi commis par Kagame et le Front Patriotique Rwandais, dans le but de provoquer la violence et le chaos, pour justifier son intervention militaire et la répression qui a suivi.
Non en vain, cette Ordonnance judiciaire, historique, a été délibérément ignorée, parce qu’elle indique les vrais coupables du génocide, celui du 1994 et celui qu’on nous a voulu cacher et que continue encore. Le gouvernement espagnol du PSOE a chantourné l’Ordonnance de la Cour, les Nations Unies l’ont ignorée; et maintenant, le gouvernement du Parti Populaire, avec une réforme de la loi de Justice Universelle, veut qu’elle reste sans effet.
Et, quand même, à partir de cette Ordonnance judiciaire et des livres de Joan Carrero « L’Afrique, la mère outragée » et «L’heure des grands philanthropes», nous connaissons la vérité. Et pas seulement la vérité de ce qui s’est passé au Rwanda, sinon que nous avons l’explication de ce qui se passe dans le monde, de la cause de toutes les guerres, de la cause de la misère et de la faim, de la cause de l’exploitation des êtres humains par des élites criminelles. Aujourd’hui, nous savons que, dans la plupart des cas, lorsque ces élites défendent des interventions militaires, «pour des raisons humanitaires», c’est pour renverser des gouvernements qui ne se prêtent pas à leurs intérêts. Lumumba nous avait déjà averti: «Ceux qui convoitent nos richesses essayent de provoquer l’anarchie. Ils utiliseront des marionnettes qui n’hésiteront pas à signer aveuglément n’importe quel accord pour placer le Congo sous une domination étrangère. Voici la vérité».
Oui, amis, le conflit des Grands Lacs a montré le visage plus horrible de l’humanité. Mais, en même temps, du petit Rwanda ressort également le plus noble de l’humanité: la lutte pour la vérité, pour la démocratie, pour la réconciliation, pour la paix.
J’ai eu la chance d’assister aux séances du Dialogue IntraRwandais qui ont eu lieu à Majorque, et j’ai resté admiré de l’esprit de dialogue, des convictions démocratiques et de la formation intellectuelle des participants. Et j’ai eu le privilège de connaître Victoire Ingabire et parler avec elle quelques instants, des semaines avant de se rendre au Rwanda. Merci à tout, j’ai parvenu à une conclusion: les problèmes de l’Afrique ne sont pas causés par les africains, mais par les élites politiques et économiques occidentales qui seulement poursuivent l’exploitation des ressources économiques africaines. Et le Rwanda ou la RD du Congo, ou l’ensemble des pays africains disposent d’un capital humain plus capacité pour diriger leurs pays que celui des propres démocraties occidentales. Pour une raison, parce que vous êtes instruits dans la culture de la réconciliation, dans le respect des droits de l’homme, dans les valeurs démocratiques, dans la solidarité …
Ainsi, mes amis, vous me faites un honneur que je ne mérite pas en m’accordant une reconnaissance que porte le nom de Victoire Ingabire Umuhoza. Pour un grand nombre de personnes la nouvelle Mandela. Est-ce que nous devrons la voir enfermée 27 ans comme Nelson Mandela? Consentira le monde démocratique que cette merveilleuse femme reste en prison, simplement pour défendre les valeurs de la démocratie et de la réconciliation? Victoire pouvait avoir évité la prison, ainsi que Deogratias Mushayidi et beaucoup d’autres s’ils s’eussent plié aux intérêts économiques des exploiteurs. Mandela a déclaré: «J’apprécie hautement ma liberté, mais m’intéresse beaucoup plus encore la votre». Comme Victoire, que sacrifie leur bien-être personnel et risque sa vie pour son peuple. Parce que pour elle est plus importante la liberté de son peuple que la sienne. Ces personnes comme Gandhi, Martin Luther King, Mandela, Victoire Ingabire, … sont celles que font avancer l’humanité, que nous apportent vraiment le progrès, le vrai progrès.
Pour tout ceci, je vous remercie et transmets mon admiration pour votre courage et pour l’amour que vous avez pour votre peuple. Avec ces vertus, n’hésitez pas que nous verrons nos désirs accomplis, les mêmes désirs que nous a laissé écrits Patrice Lumumba: « Le Congo aura un bel avenir ». Lorsque ceci se produise il signifiera que le Rwanda sera libre et les deux peuples frères.
Merci beaucoup.
Pere Sampol i Mas
Brussels, 8 mars 2014
Pere Sampol i Mas, né à Montuïri (Mallorca) en 1951. Il est ingénieur technique en électronique industrielle, des études qu’il a poursuivi à Barcelone. Il a été conseiller de Montuïri entre 1983 et 1993. En 1991, il a été élu membre du Parlement des Iles Baléares et deux ans plus tard il a occupé le poste de porte-parole du Groupe parlementaire PSM-Gauche Nationaliste. En 1995, il mena la candidature du PSM dans le Parlement des îles Baléares. Il a été élu vice-président du Conseil de l’île de Mallorca. En 1999, il revint à la tête de la candidature au Parlement des Iles Baléares et, fruit du Pacte pour le Progrès, il a été élu vice-président et conseiller d’Economie, Commerce et Industrie du Gouvernement des îles Baléares. En 2007, le Parlement des îles Baléares l’a nommé sénateur en répresentation du Bloc pour Mallorca-PSM-Verts, un poste qu’il a occupé jusqu’en 2011. En 2011, il a publié “L’Espagne n’a pas de remède. Un majorquin au Sénat”, un recueil de ses principaux discours au Sénat. En 2013, il a publié “L’échec de l’Espagne. Un horizon pour la Catalogne, un espoir pour les Baléares”. Il est actuellement le directeur de la Fondation Emili Darder.
Depuis les institutions il a collaboré avec Joan Carrero et la Fondation S’Olivar depuis 1994 et dans les actions en faveur de la vérité et de la justice dans la région de l’Afrique des Grands Lacs. Au début de 1997, comme vice-president du Conseil de Majorque, il a accompagné Joan Carrero et le Prix Nobel de la Paix Adolfo Pérez Esquivel à Paris pour se rencontrer avec la Commissaire Emma Bonino. Ils l’ont encouragée à voyager au Congo avec tous les médias disponibles avec l’objectif de rencontrer les réfugiés hutus en train d’être massacrés. Pendant une dizaine d’années le Conseil de l’île de Majorque a financé la plainte présentée par la Fondation S’Olivar auprès de la Cour Nationale espagnole contre les dirigeants du FPR, aussi bien que le Dialogue Intra- Rwandais. Ultérieurement, comme sénateur, il a accompagné Joan Carrero à Kinshasa et au siège de l’ONU à Washington pour empêcher que Paul Kagame ait pu présider les Objectifs du Millénaire.