En ce premier quart du XXIè siècle, des pays sont devenus des laboratoires d’expérimentation dans tous les domaines, pour la seule superpuissance dominant le monde depuis la chute du Mûr de Berlin en 1989.

Le Rwanda de 2025 en est un exemple concret et caricatural dans lequel des expériences s’effectuent depuis 35 ans. Quelles sont-elles et quels enseignements pouvons nous y retirer? La situation est-elle immuable ou évolutive?

Les jeunes questionnent

C’est en échangeant avec les jeunes et en écoutant leurs questions pour essayer d’y répondre parfois sans succès, que nous est venue l’idée de rédiger et de publier cette analyse.

En effet ces questions précises et pertinentes de ces jeunes qui n’ont pas connu le Rwanda d’avant le FPR ni surtout la guerre de conquête du Rwanda de 1990-1994 et ses conséquences immédiates, se basaient sur un constat réel et incontournable.

Ainsi ils se demandaient:

– Pourquoi en 1994 une rébellion issue d’une minorité ethnique venue d’un pays voisin  a pu vaincre militairement une armée issue de la majorité de la population et soutenue par elle?

– Pourquoi, depuis 1994, règne au Rwanda un régime dictatorial et ségrégationniste mais jamais  dénoncé et condamné par la communauté internationale comme cela se fait ailleurs dans une telle situation?

– Pourquoi une frange de médias et d’ONG internationales en arrivent à tromper l’opinion publique en présentant une fausse image du Rwanda comme pays prospère et sûr  alors qu’il s’agit d’un régime d’Apartheid dans lequel le développement et la sécurité  ne concernent qu’une infime minorité des élites monoethniques au pouvoir?

– Pourquoi le président Paul Kagame, au pouvoir depuis 3 décennies, se permet des actes et décisions ailleurs inadmissibles mais félicités et vantés quand il s’agit du Rwanda?

Et d’autres questions de ce genre.

Essai d’explication

Pour tenter de répondre à ces interrogations, non seulement des jeunes rwandais, mais aussi d’autres observateurs intéressés de cette région, nous nous sommes basés sur une étude d’un groupe de réflexion des spécialistes parmi ceux à qui recourent les décideurs politiques des puissances comme le Etats Unis d’Amérique et connus comme “think tank” A ces spécialistes est soumis des thèses et hypothèses en leur demandant d’étudier si telle ou telle action décidée par la puissance peut être réalisée. Si non pourquoi et si oui  d’en donner les conditions préalables.

Thèses soumises à un think tank américain en 1990

Après la fin de la guerre froide qui prévalait entre le camp dit “capitaliste” et le camp “communiste” et couronnée par l’éclatement de l’URSS en 1989, cela signifiait la victoire sans combat des USA et donc sa domination du monde acquise. Il a alors fallu concevoir et élaborer des stratégies et tactiques pour gouverner et gérer ce nouveau  monde qui s’ouvrait et dont les USA restaient les seuls maitres.

Les décideurs et tenants du pouvoir à cette époque ont alors soumis aux groupes de travail et autres think tank des questions et des thèses auxquelles ils devaient répondre et de déterminer les conditions dans lesquelles certains faits à imposer au nouveau monde devraient être effectives et appliqués.

Les thèses élaborées se présentaient comme suit :

– Comment une minorité ethnique et qui tient à son hégémonisme mais rejetée par la majorité de la population peut-elle accéder au pouvoir ?

– Comment peut-elle rester à ce pouvoir alors qu’elle est justement rejetée par la majorité de la population de ce pays?

– Comment la communauté internationale pourrait-elle accepter cet état de fait alors que c’est en opposition à ses principes?

– Comment faire pour qu’un pays sans ressources, le plus petit en termes de superficie et du nombre d’habitants, puisse quand-même devenir le plus puissant  et dominant dans une région donnée ?

La réponse globale de ces analystes fut que cela était possible mais à certaines conditions. Celles-ci étaient énumérées selon chaque question posée dans la thèse. Nous les reprenons dans cet ordre.

Comment une minorité ethnique et qui tient à son hégémonisme mais rejetée par la majorité de la population peut-elle accéder au pouvoir ?

– Il faut créer un groupe armé issu de cette minorité, l’équiper et l’entraîner, lui trouver une base arrière de préférence dans un pays voisin de celui à conquérir.

– Déclencher la guerre au bon moment quand le régime en place semble faible et le monde préoccupé par autre chose.

– Favoriser la propagande qui vante et sanctifie la rébellion tout en diabolisant le régime à abattre.

– Affaiblir les forces de défense du régime à renverser et s’il le faut recourir à un embargo sur les armes simultanément en surarmant la rébellion qui alors s’emparera du pouvoir dans ce pays dont elle est minoritaire.

Comment une minorité peut-elle rester à ce pouvoir alors qu’elle est justement rejetée par la majorité de la population de ce pays?

Le nouveau pouvoir doit être dictatorial et répressif, n’admettant pas d’opposition et ne tolérant aucune voix dissidente dans ce pays. En même temps empêcher toute réaction de résistance armée de la majorité vaincue en assimilant toute initiative dans ce sens, à du “ terrorisme” à combattre. Parallèlement les cadres civils ou militaires ayant réussi à fuir seront traités de “criminels”. Ils seront donc poursuivis par le nouveau régime pour être tués ou tout au moins condamnés par les juridictions internationales après des procès politiques ou alors livrés au nouveau régime. Tout cela avec la bénédiction et le soutien des Etats Unis influençant l’ONU mais aussi ses alliés notamment occidentaux.

Comment la communauté internationale pourrait-elle accepter cet état de fait alors que c’est en opposition à ses principes?

Intimer l’ordre à l’ONU, aux organisations de défense des droits de l’Homme, instances dont les Etats Unis sont les principaux bailleurs de fonds donc qui doivent se soumettre à eux, que le cas de ce régime issu de la minorité dominant la majorité doit être traité exceptionnellement. Autrement dit que ce régime est exempté d’appliquer les principes démocratiques et de respect des droits de l’Homme classiques. Le monde politique et les médias doivent fermer les yeux sur les violations et crimes de ce régime spécial.

Comment faire pour qu’un pays le plus petit en termes de superficie et nombre d’habitants puisse quand-même devenir le plus puissant et dominant dans une région donnée?

Les analystes et techniciens du think-tank en question ont posé aux décideurs des conditions pour cela:

Il faut faire que tout ce qui concerne ce pays gouverné par un tel régime passe toujours dans miroir déformant pour qu’il apparaisse aux observateurs comme étant  toujours excellent même quand il s’agit des échecs cuisants. Il ne faut pas hésiter à faire publier de fausses statistiques par les institutions concernées et dépendant des Etats Unis ou de ses alliés (organismes de l’ONU, institutions de Bretton Woods, …) pour placer ce régime toujours en meilleure position ; les grands médias, triés sur le volet et au parfum, faisant le reste.

Sur le plan régional et international présenter ses actions toujours positivement même quand il s’agit de graves violations du Droit international ou de la Charte des Nations Unies. Ainsi le pays sous ce régime apparaitra comme “ modèle” et puissant et sera envié par ceux qui sont vilipendés par l’Occident pour moins que cela.

Cas particulier du Rwanda

Les facteurs ayant favorisé l’application de ces conditions pour le Rwanda de Paul Kagame sont répertoriées ci-après :

Aux Etats Unis d’Amérique, les recommandations et conditions posées par le think tank en question furent appliquées à la lettre sur le cas du Rwanda par le cabinet de Bill Clinton et de sa femme Hillary, ainsi que  par Madame Madeleine Albright.

Au Royaume Unis c’est Tony Blair et sa femme Cherie Blair, avec Linda Chalker qui s’en sont occupés.

En France, la conquête du pouvoir au Rwanda par la rébellion tutsi venue d’Ouganda et qui signifiait aussi la perte d’influence dans la région au profit des anglo-saxons fut favorisée par la politique interne en France. Ceci se passa au moment de la cohabitation : l’action du gouvernement était dirigée par un premier ministre d’un parti d’opposition. Le président Mitterrand fut ainsi bloqué dans ses décisions politiques. Cela fut aggravé en outre par son état de santé. Malgré sa clairvoyance et sa compréhension de la situation, il n’avait plus ses moyens pour imposer sa volonté.

En Belgique c’est la famille libérale autour de Jean Gol et à travers le clan Michel que les conditions posées par le think tank américain appliquées, ce qui a permis consolidation d’un régime dictatorial au Rwanda et dans la région des Grands Lacs d’Afrique.

Au Rwanda s’installa ainsi une dictature vantée et saluée par les vieilles démocraties, une violation systématique des droits de l’Homme et du droit international et le pays fut présenté comme modèle dans tous les domaines.

Les impacts de comment ces conditions sont remplies pour que “l’exception rwandaise” perdurent sont criants et visibles dans tous les secteurs de la vie d’un Etat.

Dès la conquête du Rwanda, le régime du FPR de Paul Kagame a instauré une politique de l’habitat qui non seulement viole les droits des citoyens mais constitue, dans certains de ses aspects, un véritable apartheid d’après lequel la majorité que constitue les paysans agriculteurs hutu est discriminée et parquée dans des “bantoustans”. Ainsi pour rendre la capitale Kigali une ville où vivent uniquement des riches et puissants au pouvoir, le régime n’a pas hésité à lancer des opérations de déguerpissement en rasant aux bulldozers des quartiers entiers sans préavis et surtout sans reloger et encore moins indemniser les milliers d’habitants ainsi chassés.

A l’intérieur du pays, le régime a instauré des “midugudu”, des sortes de village de regroupements, où doivent vivre les habitants selon leurs origines ethniques:

Dans ce domaine de l’agriculture, le régime du FPR a rendu, des paysans qui vivaient des produits de leurs champs, des mendiants. En effet, le paysan doit cultiver dans son champ non pas une culture vivrière quelconque mais uniquement celle imposée par le pouvoir au risque de les arracher et de perdre son champ. Pire, il ne peut rien cueillir lui-même au moment de la récolte. Il doit les céder à un grossiste contre un prix modique, pour les racheter chez les détaillants à un prix astronomique.

Dans le secteur de l’éducation, le régime du FPR de Paul Kagame a réussi un exploit de rendre “analphabètes”, en un tournemain, des millions d’intellectuels et cadres instruits! En effet, le dictateur rwandais a décrété que la langue française était bannie au Rwanda et surtout dans son système d’enseignement. Du coup  par exemple, un professeur de mathématiques à l’école secondaire, qui a étudié en français pour avoir son diplôme, ne pouvait plus enseigner dans cette langue. Il est dans l’impasse car il ne maîtrise pas la nouvelle langue anglaise imposée comme langue d’enseignement. Actuellement 60% des enfants rwandais ordinaires terminent l’école primaire sans savoir ni lire ni compter. Au même moment les enfants des notables au pouvoir suivent une scolarité calquée sur celle des états occidentaux avec des enseignants importés de ces pays et même avec des professeurs privés à domicile.

Le Rwanda, sous le régime du FPR de Paul Kagame, est devenu un laboratoire médical, et la population rwandaise, des “cobayes de Labo”. En effet toute grande entreprise  pharmaceutique qui souhaite effectuer des essais pour un nouveau médicament n’a qu’à contacter Kagame lui fournira des cobayes de laboratoire, en fait sa population,  sur lesquelles seront effectués des essais in vivo ce qui ne peut se faire ailleurs dans aucun autre pays.

Le régime du FPR de Paul Kagame peut tout vendre, même le pays ou ses habitants, pourvu qu’il apparaisse dans les médias de l’occident comme réussissant en affaires et donc développant le pays alors qu’il l’appauvrit. Par exemple il exhibe une compagnie d’avion Rwandair  comme étant rwandaise alors qu’elle appartient à plus de 75 % aux Emirats du Golfe. Tout comme l’aéroport en construction au Bugesera à 40 Km de Kigali sur un espace où furent chassés plus de 100 000 habitants mais en réalité qui appartient au Qatar car c’est lui qui le construit et donc le gérera. Une sorte de base militaire. Il en est de même des complexes immobiliers ( Centres des conférence, Arena… ) de Kigali interdits aux rwandais moyens.

Au Rwanda, le ministère public, les cours et tribunaux, les juges, etc. se résument en une seule et unique personne : Paul Kagame. En effet c’est lui qui désigne qui poursuivre, quoi l’accuser, quelle peine lui infliger. Dans certaines affaires surtout d’ordre politique, il n’hésite même pas à prononcer la condamnation sans procès et à ordonner des exécutions extrajudiciaires.

En matière de diplomatie et de relations internationales, le dictateur Paul Kagame est le seul chef d’état de la région et même d’Afrique qui peut revendiquer le droit d’intervenir militairement dans un autre pays sous prétexte d’y défendre les intérêts des citoyens de ce pays ayant la même origine ethnique ou parlant la même langue que lui, et à qui la communauté internationale reconnait ce droit. Ses interventions au ou en RDC en sont des exemples éloquents.

Paul Kagame est le seul qui peut envoyer des éléments de son armée comme mercenaires et exiger qu’ils soient payés et entretenus par la communauté internationale Son armée au Mozambique est entretenu et financée par l’Union Européenne.

Paul Kagame est le seul chef d’état d’Afrique qui peut faire chanter d’autres chefs d’états notamment via ses “commandos de charme” jusqu’à les contraindre de lui céder des territoires entiers de leurs pays en violation de leurs serments et lois. Cela s’est passé avec la RCA et  Congo-Brazzaville.

Conséquences

Le Rwanda et Paul Kagame sont montrés à travers des miroirs déformants diffusés par la propagande mensongère des puissances qui l’ont créé et qui ont rempli les conditions préalables posées par le think tank américain de 1990 pour réaliser l’impossible dans un pays donné.

En toute logique et aux vues de ce qui précède, le Rwanda de 2025 est perçu faussement comme un modèle pour l’Afrique Occidentale et Paul Kagame, un homme exceptionnel qui fait et réussit ce qu’eux-mêmes ne peuvent pas oser chez-eux.  Ainsi il est vanté en Côte d’Ivoire et Togo et même au Sénégal, comme il est sollicité en Guinée Conakry, en Guinée Bissau  et au Bénin.

De même le Rwanda sous Paul Kagame apparait comme  une puissance en Afrique centrale, australe et de l’Est. En effet, il peut conquérir des territoires sans combats en Centrafrique et au Congo Brazza, il fait la loi et assure l’ordre et la sécurité au Mozambique. En Tanzanie, il menace de mort les dirigeants  afin de les réduire au silence (cas du président Jakaya Kikwete). Il peut déstabiliser le Burundi et la RDC et conquérir des territoires de cette dernière quand il veut.

Et tout cela avec la bénédiction de ce qui est appelée communauté internationale.

Perspectives d’avenir

Le nouvel ordre mondial imposé depuis 3 décennies est encore de mise. Mais en Occident même, il doit être mis en pratique par  une nouvelle génération de décideurs. En plus, la géopolitique mondiale est visiblement, depuis au moins 2022, dans un tournant décisif. Paul Kagame pourrait paraitre auprès des nouveaux décideurs de l’Occident comme n’étant plus nécessaire pour accomplir certaines tâches pour lui et estimer qu’il a fait son temps puis le relâcher et le jeter dans poubelle comme un chiffon usagé.

Enfin la personne de Paul Kagame même, en bénéficiant toujours de la bénédiction de  certaines puissances pour jouir de l’immunité et de l’impunité pour ses crimes, reste un être humain qui n’échappe point aux lois de la nature: la vieillesse, la maladie et même la mort sans parler d’une possible révolution de palais toujours pendante dans de tels cas!

De ce qui précède, concluons en disant que la dictature de Paul Kagame, à travers son parti-état FPR, n’est pas une fatalité ni pour les rwandais ni pour les peuples voisins qui en sont victimes depuis 30 ans.

L’expérimentation des Etats Unis de leurs théories pour gérer l’après-guerre froide en 1990 sur le Rwanda vont nécessairement cesser avec la fin de cette période et le retour des blocs pour la domination du monde qui n’est plus unipolaire et dominé non plus par le seul Occident.

Le peuple rwandais, qui a subi, pendant 3 décennies, ces expérimentations, doit penser à l’après “Rwanda comme laboratoire” et penser au Rwanda comme Etat souverain et démocratique en ce 2025. Il est donc temps de penser et de s’accorder sur ce que sera l’après-Kagame et cela en dépassant les considérations ethniques ou régionales, le dénominateur commun étant le rejet du régime dictatorial du FPR et la réinstauration de la démocratie au Rwanda.

Enfin nous espérons que les autres peuples de la région victimes de cette expérimentation de la géopolitique au Rwanda comprendront que ceci est en train de prendre fin. Nous espérons que les populations victimes, en RDC, retrouveront enfin en cette année 2025 la paix et la sécurité dont ils ont été injustement privées depuis 1996. Dans ce cadre, nous prions pour que les décideurs politiques en RDC aient le courage de refuser les manœuvres de distraction (faux cessez-le-feu, …) et donnent aux FARDC qui ne demandent que ça, des moyens de libérer les portions du territoire national sous occupation ennemie.

Source: Echos d’Afrique

Photo: Le président rwandais Paul Kagame lors de la Journée du Rwanda à Washington le 3 février 2024. (Cyrile Ndegeya / Anadolu via AFP)

Alain Juillet: Kagame lâché par les Américains; Tshisekedi prépare la RDC à devenir une grande puissance africaine. (Lingala Motivation TV, 12.01.2025)