Ethnogenèse et Violences Cycliques
Extrait préparé expressément pour les Chefs d’Etats et de Gouvemements
Avec les voeux les plus sincères pour vous-mêmes et les peuples que vous dirigez, en cette fin d’année 1998, année de commémoration du 50ème Anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme…
Aux Chefs d’Etats et de Gouvernements
Excellences,
Concerne: Des Régimes minoritaires racistes et des armées monoethniques sanguinaires au Rwanda, au Burundi et en Ouganda.
Le monde entier a conspué le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, non qu’il s’agissait de Blancs qui opprimaient des Noirs, mais parce que c’était un régime minoritaire raciste et illégitime. Des régimes minoritaires et tout aussi racistes, et sanguinaires en plus, assoiffés du sang des populations que de vrais dirigents doivent plutôt servir et non asservir, sont installés actuellement à Kigali, à Bujumbura et à Kampala et portent la guerre même en République Démocratique du Congo pour piller ses richesses et installer un pouvoir docile à Kinshasa, un pouvoir qui leur permet le pillage et l’impunité. L’oppression des Noirs sur d’autres Noirs est tout aussi condamnable que l’apartheid, d’autant plus qu’elle a, en réalité fait plus de victimes si on ose se livrer à un si macabre recensement .
En quelques années de pouvoir, Paul Kagame, Yoweri Museveni, Pierre Buyoya, ont porté la mort partout au Rwanda, au Burundi, en République Démocratique du Congo, en Ouganda, et dans tout I’Est-Africain. D’après certaines informations, ils pourraient même faire couler le sang d’opposants dans d’autres pays lointains, notamment en Belgique. En raison de sa cruauté lorsqu’il était chef du service de renseignements en Ouganda, Paul Kagame s’était acquis une sinistre réputation qui lui valait le surnom de Ponce Pilate, tellement sa capacité d’inventer des supplices toujours nouveaux était devenue légendaire. C’est du reste son unique génie: visiblement incapable de gouverner un pays, il n’a qu’un mot à la bouche: « genosaid ». Il ne s’agit pas d’une faute d’orthographe, mais bien d’une reproduction de sa prononciation. Il est lui-même auteur d’un génocide des bahutu.
Le Rwanda est systématiquement détruit par une clique d’individus sans autre programme que celui d’éliminer la population laborieuse: la production intérieure et extérieure du régime Kagame, ce sont des cadavres, et non plus les bananes, haricots et autres produits utiles à la population. La faim décime ceux que les armes ont épargnés. Il a promis aux réfugiés tutsi un retour dans un pays où coulent le lait et le miel. Ceux qui l’ont suivi ont trouvé un pays où ce sinistre Kagame fait couler les larmes et le sang. Quelle désillusion! L’armée monoethnique du Burundi n’a fait que massacrer des bahutus depuis 1965, jusqu’au Président Melchior Ndadaye démocratiquement élu. Puisque ses bourreaux impunis sont au pouvoir, c’est la population qui continue à être décimée. Un projet satanique d’envahir la Tanzanie pour liquider les réfugiés est déjà connu.
Soutenu par la puissante Amérique, Yoweri Museveni entend créer un empire bien à lui. Il oublie les exemples d’un Pinochet, d’un Mobutu, eux aussi portés au pouvoir par les Etats-Unis et abandonnés quelques décennies après. Sa carrière du mensonge et du cynisme débute avec son hypocrisie à l’égard de Tito Okello… et de Juvénal Habyalimana. On ne choisit pas ses voisins, décidément. Museveni aura ravagé toute l’Afrique, sans épargner son propre pays.
Ces trois hommes ne sont pas des hommes d’Etat responsables. Ce sont des assassins de leurs peuples, infréquentables, et que je vous prie de mettre au banc de la communauté africaine et mondiale.
En vous présentant mes meilleurs voeux de Noël 1998 et de Nouvelle Année 1999, pour vous-mêmes et pour les peuples que vous dirigez, je vous prie, Excellences, de daigner agréer, mes respectueuses civilités.
SHYHAMBERE Spiridion.
SYNTHESE
Le pouvoir tutsi et ses mythes
1. Au commencement était la race
La conception du pouvoir politique en Afrique par des minorités extrémistes est génératrice de conflits: la dichotomie du dominant et du dominé, du vainqueur et du vaincu, du seigneur né pour commander et du serviteur pliant I’échine pour obéir, exclut toute idée de partenariat dans une société où les citoyens sont libres et égaux en dignité et en droits.
Comme la catégorie politique pertinente est I’ethnie, les eugéniques, gens bien-nés pour exercer un pouvoir sur d’autres, ce sont les ethnarques et les membres de leur groupe, détenteurs collectivement d’un pouvoir qu’ils ont conquis, non pour servir une cause quelconque, mais pour asservir les ethnies rivales souvent majoritaires.
L’écrasement devra étre quotidien pour que le vaincu sente à tout moment le poids de l’autorité. Celle-ci n’est d’ailleurs jamais comprise dans son sens étymologique de auctoritas, avec sa référence à un charisme d’ordre plutôt moral, persuasif par son sage ascendant, mais bien comme évocation d’un autoritarisme brutal, despotique, tyrannique ..jusqu’à ce que I’opprimé se révolte et crée à son tour de pires conditions d’existence pour le nouveau vaincu: dame vengeance ne peut être assouvie que par une marre de sang.
Un proverbe rwandais inspiré par une dictature séculaire tutsie, l’exprime dans ce raccourcí: « ingoma idahôra ni igicuma », un régne qui ne se venge pas ne pese pas lourd qu’une gourde vide!
Un lugubre holocauste périodique doit, en toutes circonstances, rappeler que I’ethnarque (appelé mwami) peut toujours «anéantir la maisonnée entière» d’un serf. Et les parents d’une victime injustement frappée devront en plus apporter des présents à l’ethnarque assassin pour calmer sa colère, afin qu’il ne s’en prenne pas aux survivants.
Cette mentalité a marqué même les dirigeant actuels et ceux des époques récentes. Sous le régime du Général Juvénal HABYALIMANA comme sous celui de Sékou-Touré, les prisonniers politiques en liberté conditionnelle devaient écrire des lettres de remerciements à leur geôlier suprême pour éviter un retour fatal dans ces sinistres établissements pénitentiaires de Ruhengeri et du camp Boiro.
Actuellement, Pasteur BIZIMUNGU, soi-disant Président du Rwanda, Alexis Kanyarengwe « chairman » supposé du Front Patriotique Rwandais au pouvoir à Kigali, doivent plier I’échine et marquer, par le sourire large jusqu’aux oreilles, leur satisfaction devant un général Paul KAGAME, surnommé naguère «Ponce-Pilate», qui massacre leurs familles, extermine les habitants de leurs régions, et les menace eux-mêmes des pires conditions.
Revenant aux origines du mal, on peut observer que les arthroses, vraies ou supposées des reines-mères du Rwanda ne s’apaisaient que lorsque, au moment de se lever, ces Agrippine de sinistre mémoire s’appuyaient sur une épée profondément enfoncée dans le corps d’un « muhutu », adulte ou même très jeune. Celui-ci était d’ailleurs la cible naturelle désignée pour les exercices de tir des Batutsi: « Le prince de Mecklembourg, envoyé du Kaiser, aiyait offert un fusil à Musinga. Celui-ci, le plus naturellement du monde, avait fait mine de l’essayer sur un muhutu qui se trouvait là ».1
L’hystérie des ethnarques batutsi les a amenés à se créer des théories sur la supériorité de leur race, des mythes et légendes cosmogoniques qui les rapprochent des divinités plutôt que de l’espéce humaine terrestre. L’une des légendes qu’on nous inculquait de force en nous la racontant tous les soirs dans notre jeune âge, ne manque pas de ressemblance avec le récit biblique des vierges folles et des vierges sages. Mais ici l’intention est d’illustrer la théorie de la race supérieure « mututsi » dont le pouvoir sur les autres aurait des fondements divins, donc inattaquables.
Un jour, IMANA, Dieu de l’Univers, mit á l’épreuve Gatwa, Gahutu et Gatutsi, ancêtres des trois ethnies du Rwanda et du Burundi. L’enjeu est le pouvoir, et l’épreuve consiste en une fidélité sans faille. Imana confia dont un jour à chacun des trois une jarre de lait, avec la promesse de récupérer son dû le lendemain, au lever du jour! Gatwa le goinfre n’attendit pas, il but aussitôt le liquide contenu dans le vase. Gahutu à son tour manqua de vigilance: il s’assoupit et s’endormit. Ses genoux sur lesquels le lait était posé s’écartérent, et le liquide se répandit à terre, quelle désinvolture! Gatutsi seul put présenter le pot intact au retour du maître divin: en récompense pour sa fidélité, celui-ci lui conféra un pouvoir absolu sur les deux autres et prononça en plus la malédiction de Gatwa : ce rustre ne sera, à tout jamais, qu’un bouffon et un faquin exécutant de basses besognes. Récit tendancieux dont l’origine est claire.
La fatuité des batutsi les amène à s’attribuer, dans d’autres mythes et légendes cosmogoniques, une origine céleste. Leur ancêtre KIGWA est descendu des nues, comme le nom l’indique. C’est dans la région orientale du Rwanda qu’il a dû choir, en provenance du pays d’En-Haut où il vivait avec son père NKUBA (Tonnerre) et sa mère GASANI …. nom qui rappelle bien l’exclamation rwandaise « Gasani k’i Rwanda we! ».
Il arrive que ses parents inquiets de son sort le recherchent: alors soudain la torche de son père éclaire le firmament -ce sont ces éclaires nocturnes- et sa mère qui verse d’abondantes larmes, c’est la pluie qui accompagne les éclairs. KIGWA est arrivé en même temps que son frère MUTUTSI, héros éponyme de l’ethnie, son neveu SERWEGA, héros éponyme du clan des Bega et son fils Kimanuka, d’origine supra-céleste comme le nom le suggère, lui-même ancêtre du clan des banyiginya. Ces légendes enseignées aux jeunes, tous les soirs, dans un but politique évident, sont destinées à justifier le pouvoir absolu des clans Bega et Banyiginya qui se sont succédé au sommet de l’Etat. Une société sans écriture, nos médias modernes si souvent aveuglés aussi par leur engagement politique dans un sens ou dans l’autre, sont vite manipulés par des récits tendancieux.
Mais même actuellement, malgré les progrés de l’homme vers un certain sens critique, on sait que les batutsi invoquent ces récits artificiels pour illustrer, avec une arrogance aussi hautaine que risible, leur apparition fortuite sur cette terre malheureuse des hommes déchus du paradis céleste. En Belgique, ils ont créé une association dite « Bene Gibanga », les descendants de GIHANGA, dont l’ancêtre est KIGWA, qui a eu, d’après la légende, un fils nommé KANYARWANDA, et qui s’est établi à Gasabo, dans l’Ile-du-Rwanda.
Que de galéjades! Ces prétentions pleines de morgue et de vanité à finalité politique n’ont d’autre effet que de faire passer tous les batutsi, aux yeux des bahutu notamment, comme des individus infatués, imbus jusqu’à l’os des préjugés de caste: ils n’hésitent pas à imputer à la volonté, divine, l’inégalité des races humaines, pour se donner le beau rôle, celui de la race préférée des dieux. Dans ce contexte d’orgueil racial, on insiste moins sur d’autres légendes qui évoquent le bannissement de KIGWA. Sa mère Nyirakigwa était en fait stérile.
Nous disposons de documents sonores récents, venus du Rwanda sous ce régime de Paul Kagame, qui affirment que la supériorité raciale des batutsi sur d’autres groupes ethniques en Afrique est une volonté divine car ils sont la race élue de Dieu, comme Israël. Nous traduisons en langues de grande diffusion cette idéologie néo-nazie pour montrer au monde la vraie nature des régimes minoritaires racistes de P. Kagame, P. Buyoya et Y. Museveni.
Une grâce spéciale, moyennée par devins et magiciens, fit obtenir pour la stérile Nyirakigwa citée plus haut, d’Imana, Sebantu, père des Hommes, la conception de trois enfants, KIGWA, MUTUTSI et NYIRABATUTSI, à condition de ne révéler à personne le secret divin. Hélas, comme chez Eve, faiblesse et jalousie sont dans la nature des femmes. Sa soeur jalouse d’un tel bonheur lui fit boire un élixir qui rendit loquace, et sous cette emprise éthylique, Nyirakigwa parla…. La colère de Dieu expulsa du ciel tous ses enfants, tels Adam et Eve sous le coup du châtiment divin.
Nous devrions mettre un frein à cette politique de l’autruche qui consiste à nier les réalités ethniques alors que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants de tous âges, sont massacrés périodiquement au Rwanda, au Burundi, au Congo, en Ouganda en raison de leur appartenance ethnique. Notre société traditionnelle a élaboré des théories raciales, notamment celle de la race supérieure: on est près du nazisme décrié dans le monde entier. Ces théories raciales n’ont pas été créées par le colonisateur, elles sont issues d’un pouvoir politique absolu longtemps monopolisé par un groupe ethnique. Le colonisateur a renforcé ces théories raciales par des privilèges de caste comme on le verra plus loin, mais il n’a pas importé ces catégories génératrices de conflits sans fin.
2. Unification territoriale sans unité nationale
L’unification territoriale du Rwanda et du Burundi était achevée avant l’arrivée des Européens. Mais l’unité réelle des ethnies qui y habitent n’était un souci pour personne. Contrairement aux dissertations de plusieurs auteurs sur une réelle unité due à la langue commune, aux croyance religieuses identiques, à un système d’habitat dispersé, l’orgueil des hommes qui se croient supérieurs à d’autres pour justifier une domination tyrannique, a mis un frein puissant à toute possibilité d’union nationale.
Les batutsi ont toujours rejeté avec dédain l’idée même d’avoir en face des partenaires dignes de partager le pouvoir avec eux: « Puisque donc nos rois ont conquis le pays des Bahutu en tuant leurs roitelets et ont ainsi asservi les Bahutu, comment peuvent-ils maintenant prétendre être nos frères? »2 La primauté absolue est donc l’asservissement de l’autre, la domination sans partage. Dans la vie quotidienne, l’unité des bahutu et des batutsi n’a jamais existé que sous la plume d’auteurs qui ne vont pas au fond des choses.
L’unité línguistique n’est pas absolue, même si on accepte que I’intercompréhension des usagers est immédiate et sans equivoque. Aucun auteur n’a relevé des différences tout en nuances, dans l’usage d’une même langue par les bahutu, les batutsi et méme les batwa. Je n’approfondirai pas cet aspect puisque l’objet du livre en préparation est plus politique que linguistique.
A titre d’exemple, je signale quelques nuances dans le domaine de l’anthroponymie. Les noms propres des bahutu sont, en général, descriptifs: ils évoquent des circonstances familiales, les contextes du moment de la naissance. Ainsi on peut présumer qu’un KANYAMAHANGA, I’équivalent sémantique de ALAIN (alienus), est né à l’étranger comme le nom l’indique, c’est-à-dire hors du milieu familial, et qu’en plus il est muhutu.
Par contre les noms propres des batutsi sont volontiers emphatiques, voire hautains: ils soulignent des versus et prétentions exceptionnelles auxquelles I’individu n’a même pas pu accéder. Des couards nés ne manqueront pas d’évoquer, dans la composition des noms de leurs enfants, une bravoure capable de mettre en déroute des armées très puissantes ou une capacité inouïe de résister à un ennemi très fort. On n’exaltera jamais la générosité de coeur et d’esprit, la disponibilité envers autrui et d’autres sentiments du même ordre considérés comme des faiblesses.
Ainsi donc on peut présumer que RUDAKUBANA, I’indomptable, RUDAHIGWA, I’inégalable, désignent bien des sujets batutsi. Et en général tous les noms propres en RU + expression d’une qualité exceptionnelle, tous les anthroponymies en -Yire, sont usités chez les batutsi, sauf de rares cas de snobisme. On rejoint ici ce caractère hautain, cette vaine arrogance, cette morgue démesurée, cette fatuité absurde: autant de traits de caractère relevés plus haut qui hérissent de colére et souvent de mépris l’autre ethnie qui se considère, elle, comme proche des réalités terrestres sans prétentions à I’exceptionnel.
Cette auto-exaltation rappelle ces formules grandiloquentes (ibyivugo) récitées avec une volubilité qui les rend inaudibles par lesquelles un individu se vante publiquement d’exploits qu’il n’a pas réalisés, pour mériter une place honorable dans le groupe, et un chalumeau pour humer la bière de bananes en bonne compagnie de sujets valeureux !!
Lorsque le Président Mobutu a supprimé les prénoms chrétiens au Zaïre, les batutsi établis là-bas ont suivi cette veine d’inspiration pleine d’orgueil pour composer leurs nouveaux prénoms africains: Bisengimana RWEMA, I’indomptable, Kayitana IMANZl, I’excellence même… On pourrait compléter cette étude onomastique ou relever d’autres différences linguistiques sur base ethnique dans les domaines de la phonologie, du lexique…. La conclusion serait péremptoire: I’unité linguistique des ethnies peuplant le Rwanda et le Burundi n’est pas absolue. Mais une telle recherche revient à des linguistes.
L’unité par alliances eût été plus porteuse d’espoirs pour une symbiose nationale. Mais cet orgueil absolu des « eugéniques » s’y est longtemps opposé. Les mariages mixtes bahutu-batutsi et viceversa sont si rares jusqu’en 1960 que même les enfants produits par des amours ancillaires dont les femmes bahutukazi faisaient les frais, n’ont jamais été intégrés par leurs pères comme des batutsi à part entière. C’étaient des bâtards dus à un caprice occasionnel, pourtant fréquent, déconsidérés comme te Candide de Voltaire, chez le baron de Thunder-ten Tronck. Candide a dû quitter la famille baronne pour mener diverses aventures, un régal pour le lecteur de ce roman d’idées !
Même les batutsi gueux et pauvres hères sur les collines se mêlaient si peu aux bahutu car ils préféraient se rapprocher des ethnarques, estimant appartenir eux aussi à la race supérieure. Il est certain aussi que les bahutu satisfaits d’une réelle prospérité agricole que les petits batutsi n’atteignaient pas, auraient dédaigné un tel « commerce » avec des paresseux et des gueux vivant dans une oisiveté lascive et un verbiage stérile.
Après 1960, on sait que plusieurs batutsikazi se mariaient par pur intérêt (pour certains) avec des bahutu enrichis, et que ces derniers trouvaient peut-être, psychologiquement, un quelconque plaisir superficiel au fruit leur défendu précédemment. Mais, malgré cela, on ne connaît pas de bahutu de bonne situation qui accepteraient, de gaieté de coeur, le mariage de leur fille avec un mututsi, milieu considéré comme assez maniéré, oisif, hypocrite et perfide comme l’exprime le raccourci proverbial suivant: « umututsi umwakira mu kirambi akagutera mu buriri; Recevez un mututsi au salon, il en profitera pour vous attaquer dans votre lit ».
C’est avec une résignation due à la libération des moeurs, que ces mêmes bahutu toléraient sans enthousiasme le mariage de leur fils avec une mututsikazi, mais rarement dans les régions du Nord où l’on pouvait certes considérer les femmes batutsikazi comme « deuxième, nième bureau » (maitresses) et non des femmes qu’on épouse pour les installer chez soi. Les freins à l’unité ont toujours été assez puissants et les guerres ont achevé de ruiner même les esperances les plus idéalistes, les plus généreuses, et les plus porteuses d’espoirs pour l’avenir.
Le système d’habitat dispersé qui amène les ethnies à partager les mêmes conditions d’existence, les mêmes rivières, les mêmes besoins quotidiens sur les collines n’a pas pu créer une symbiose totale, mais c’est un facteur très positif que les guerres viennent d’anéantir. Des « bututsistans se créent sur le modèle de l’apartheid. Les bahutulands n’existent même plus car ceux-ci n’ont plus droit qu’à la prison, à la mort ou à l’exil s’ils parviennent à s’évader de cet enfer quotidien.
Certes les pratiques et croyances religieuses anciennes actuelles restent identiques. Mais en fait les traditions spirituelles du Rwanda et du Burundi sont restées au niveau du culte des ancêtres, un culte individual et familial. Elles n’ont jamais été organisées et structurées comme une religion qui exprime l’âme collective d’une peuple et en crée le ciment, á I’image de l’islam du bouddhisme, du protestantisme, etc… Les religions importées avec la colonisation ne sont encore qu’un vernis social. Les églises et temples sont certes remplis, mais que valent-elles ces églises, ces mosquées, à quoi servent ces temples, si ceux qui fréquentent ces établissements ont la haine ethnique dans les coeurs et savent bien qu’aucune valeur n’est plus sacrée? Mieux vaudrait fermer ces bâtisses récupérées par Satan, où l’on massacre les innocents et même les ministres du culte, de tous âges et de tous rangs sans réaction de rupture diplomatique du Saint-Siège: Ah, ce Vatican qui nous fait perdre la foi!
Il n’existe donc pas d’unité nationale fondée sur une langue sensiblement homogène, sur des croyances religieuses similaires, sur un système d’habitat dispersé qui rapproche les ethnies en les mélangeant dans une aire géographique commune. Les catégories sociales développées ailleurs au cours des siècles, patrons et travailleurs, ouvriers et salariés d’une part, travailleurs indépendants d’autre part ne sont pas pertinentes en Afrique Centrale. Les idéologies qui créent une dynamique sociale fondée sur la foi en une économie planifiée d’une part et en une économie libérale d’autre par-t n’existent que dans la tête des intellectuels et ne peuvent pas restructurer la société africaine sur le modèle gauche et droite!
L’ethnie reste donc la seule catégorie politique pertinente. Dans ce contexte, les perspectivas demeurent conflictuelles: le système politique est rondé non sur une union effective des ethnies mais sur l’écrasement de l’une par l’autre, la domination exclusive d’une ethnie sur les autres.
Le Rwanda et le Burundi ont manqué de personnalités politiques charismatiques capables de transcender les divisions ethniques. Les ethnarques d’antan (bami) niaient jusqu’à I’existence du problème. Ce n’est de toute façon pas de ce milieu-là que pouvait jaillier une lumière quelconque pour l’ensemble des citoyens: une culture du mensonge qui caractérise Museveni, Kagame et tant d’ethnarques du Burundi.
Aucune personnalité visionnaire ne pouvait naître et grandir dans ces cours du Bas-Empire ou sévissaient les vices les plus infâmes: dangereuses intrigues, guet-apens sanglants, lasses flatteries, fatales délations, une lubricité qui n’épargnait ni les enfants ni les pages (intore) fils de grands vassaux, et surtout un cynisme macabre qui procede à des exécutions capitales quotidiennes dans l’unique but de faire sentir le poids d’un absolutisme souverain. Ce fléau est de retour, hélas.
Le lourd atavisme d’une cour ainsi arriérée et dépravée ne pouvait éclairer une ethnarque sans aucune formation. Parlant de celui du Rwanda, Guy Logiest dresse un portrait peu reluisant3: « Toute son enfance est basée sur des concepts antidémocratiques: il a passé son enfance aupràs du Mwami MUSINGA; il est membre et maintenant chef du clan Bahindiro. Il est n’est ni très intelligent, ni suffisamment instruit pour comprendre le sens profond des principes démocratiques. Il est chargé d’une lourde hérédité de féodal absolu… ».
A l’heure actuelle, où la sous-région des grands lacs tout entière est plongée dans des guerres, une telle lumière tant attendue serait vite éteinte par des manoeuvres perfides et haineuses, dés qu’elle se manifesterait. L’assassinat de Melchior NDADAYE, Président de la République du Burundi, en est un signe éloquent. Son émasculation colportée par des rumeurs incessantes mais non encore vérifiées, et plutôt étouffées n’étonnerait pas ceux qui connaissent cette caste qui ne se satisfait qu’en s’appropriant les dépouilles sexuelles de sa victime.
Le tambour enseigne des ethnarques du Rwanda, KALINGA, était couvert de ces lugubres ornements. Un texte en notre possession, intitulé « Indorenvamo » de juin 1998 nous apprend, sans surprise, que le général Paul KAGAME conserve chez sa mère, sous bonne garde militaire, les dépouilles de Monseigneur Phocas Nikwigize, Evêque de Ruhengeri (au nord-ouest du Rwanda) porté disparu fin novembre 1996 alors qu’il rentrait par la frontière de Gisenyi. Et le Saint-Siège, devenu plus temporel que spirituel, garde encore des relations diplomatiques avec un tel régime. Que l’on mette fin à cette carrière du crime d’un Paul Kagame, depuis I’Ouganda, le Rwanda, la R.D. du Congo et même au-delà.
3. Les influences externes de 1920 à 1960
Quand de graves problèmes surgissent dans des anciennes colonies, et qu’on en accuse l’ancien colonisateur, un tel discours passe aisément. Mais quatre décennies d’indépendance doivent nous amener à réfléchir aussi sur la responsabilité des nationaux: ces pays ont pu avoir des cadres hautement formés dans toutes les disciplines du savoir, même si la catégorie des intellectuels a toujours payé un lourd tribut humain aux guerres, rébellions, razzias et autres goulags indescriptibles. Qu’ont-ils fait de leurs propres pays après les indépendances? Une pertinente question qui n’est pas abordée en détails dans ce cadre-ci.
Pour la région interlacustre qui nous occupe, il serait facile d’accuser la Belgique de tous les maux. Certes, elle a ses responsabilités, et ce sont elles que nous examinons dans ce cadre d’influences externes. Mais on ne peut ignorer la radicalisation des tensions ethniques par les nationaux eux-mêmes, à cause de leur dureté de coeur, de leur soif du pouvoir et de l’avoir! On ne peut passer sous silence cette élaboration de théories racistes communiquées de bouche à oreille ou clairement affichées comme celles d’Artémon SIMBANANIYE au Burundi.
Admettons qu’en matière de responsabilités, les nationaux aient « une poutre dans l’oeil », car ils n’ont rien redressé après le départ des Belges, en ce qui concerne les relations interethniques. Mais les Belges auraient, eux aussi, au moins « la paille dans l’oeil ». Mais la « paille » ici, la « paille » là, cela génére une gigantesque incendie. La Belgique a institutionnalisé en Afrique Centrale des situations conflictuelles pour l’avenir.
Rappelons d’abord les « crimes » (sic) dont la Belgique est vraiment absoute, quel que soit son niveau de responsabilité en tant que puissance adrninistrante des territoires du Rwanda et du Burundi. On sait bien que, parodiant Garroche, certains Rwandais auraient la joie au coeur en entonnant cette chanson:
Il est mort notre roi, C’est la faute à Harroy!
Notre exil á coups de gourdins, C’est la faute à Perraudin!
Un tel langage est facile à tenir. Il résume un contentieux belgo-tutsi encore actuel. Pour les batutsi, le Roi Charles MUTARA Rudahigwa, mort le samedi 25 juillet 1959 à Bujumbura, a été assassiné par les Belges! On l’entend encore souvent, et sans effort, mais cette affirmation ne résiste pas à l’examen.
On ne voit pas le mobile d’un tel crime qui ne fait partie, ni du passé national des Belges, ni de leur action passée au Rwanda où, malgré un despotisme moyenâgeux, Ils avaient toujours soutenu les batutsi et leurs monarques. Même le Mwami MUSINGA qui leur résistait ouvertement n’a pas été tué. Il fut relégué à Kamembe, avec les honneurs et 500 porteurs pour ses effets personnels.
En 1959, nous avons été curieux de savoir la vérité, Charles Mutara Rudahigwa avait, avant de se rendre à I’hôpital où il mourut, passé quelques heures à l’Hôtel Paguidas à Bujumbura. Les pères jésuites qui étaient présents le voyaient très affaibli par diverses pathologies dont il souffrait, et parmi elle un inavouable penchant à la dive bouteille. Jean-Paul HARROY, alors Gouverneur général du Rwanda et du Bunindi, parle même d’un projet de cure de désintoxication alcoolique aux Etats-Unis. En octobre 1959, à ma question insistente et agaçante, pleine d’accents d’une jeunesse révoltée et en plein désarroi, une personne avisée finit par me répondre ceci:
« Ecoute, votre Mwami consomme une bouteille entière de whisky en une demi-heure et une bouteille de porto en quinze minutes… ». Elle n’ajouta rien. Je me souviens d’avoir alors retenu les mots « wisiki » et « proto » sans savoir ce que cela voulait dire. J’ai mis huit ans pour en saisir réctiement le sens exact, et surtout pour comprendre la portée de ce que j’avais entendu.
Jean-Paul HARROY ne pouvait pas ordonner une autopsie pour faire la lumière sur ce décès. L’autopsie n’aurait eu aucune valeur de vérité pour une caste si arriérée. De toute façon, elle ne pouvait être pratiquée que par un médecin Européen, alors que justement les Européens en bloc et tous les Blancs en général étaient accusés d’assassinat, de régicide. En outre, nul ne pouvait avoir accés à ce corps dans une atmosphère si tendue. La Belgique ici est hors de cause. Mais le contentieux demeure.
A l’occasion du carême 1959, Monseigneur André Perraudin avait préché le partage fraternel, dans une société habituée aux privilèges exclusifs de caste et à l’écrasement continuel de l’autre. La dureté de coeur d’une aristocratie mututsi chez qui le chistianisme n’était guère qu’un fragile vernis, devait considérer ce sermon comme un crime de lèse-majesté. Pourtant, Monseigneur A. Perraudin était bien dans la tradition séculaire de l’Eglise. A la cour des grands, Bossuet prononçait des sermons plus percutants encore:
« Oh Dieu clément et juste! Ce n’est pas pour cette raison que vous avez donné aux grands de la terre un rayon de votre puissance. Vous les avez faits grands, pour servir de pères à vos pauvres; votre providence a pris soin de détourner les maux de dessus leurs têtes, afin qu’ils pensassent à ceux du prochain; mais leur grandeur au contraire les rend dédaigneux, leur abondance secs, leur félicité insensibles; encore qu’ils voient tous les jours, non tant des pauvres et des misérables, que la misère elle-même et la pauvreté en personne, pleurantes et gémissantes à leur porte » (Sermon sur le mauvais riche).
Monseigneur André Perraudin n’atteignit même pas de tels accents, avec protase et apodose si émouvantes. Mais sa prédication lui valut une inimitié éternelle qu’on remarque encore sans peine, et d’abondantes grâces perpétuelles, là-haut, où nous sommes tous attendus, grands et petits, riches et mendiants, humbles et arrogants! tout un univers si hétérogène, au royaume des ombres… S’il faut encore avoir la foi avec tant de mal qu’on voit autour de soi.
Nous allons à présent pointer les responsabilités concretes de la puissance administrante et de ses auxiliaires.
Au niveau politique:
Le mandat de tutelle supposait la préparation du Rwanda et du Burundi à l’indépendance: moderniser les institutions surannées, n’obéissant qu’à l’arbitraire; inculquer aux populations et à leurs dirigeants les libertés élémentaires du citoyen: égalité devant la loi, droit de vote, droit d’expression, une justice égale pour tous, sans distinction de races, mêmes droits et mêmes devoirs du citoyen…
La Belgique n’a fait aucune tentative en ce sens. Elle n’a même pas introduit l’obligation pour les ethnarques dirigeants d’obéir à quelque loi que ce soit, ne fut-ce qu’une loi fondamentale, une constitution. lls obéissaient à leur arbitraire souverain. La Belgique a destitué le mwami Musinga uniquement parce qu’il opposait une résistance farouche aux missionnaires, empêchait les conversions dans son entourage… Elle a failli à sa mission essentielle, et les lacunes signalées plus haut ne seront comblées qu’à la hâte en période révolutionnaire en 1961; un an avant I’indépendance, la population ignorait les bulletins de vote. Ces lacunes ouvraient déjà le cahier de revendications des révolutionnaires: abolition du tambour emblème KALINGA couvert de dépouilles humaines, adoption d’un drapeau national, élaboration d’une constitution à laquelle tout dirigeant se soumet, instauration du droit de vote à tous les échelons, distinction nette des trois pouvoirs, que le mwami exerçait seul selon ses caprices, obligation pour lui de résider à la Capitale, suppression du Collège des ABIRU, conseillers discrétionnaires et absolus du despote, etc… Ces droits élémentaires n’ont été acquis que par un conflit interethnique qui a bouleversé I’ordre ancien conservé par les Allemands, et puis par les Belges: ces derniers ont été jusqu’à destituer tous les chefs et sous-chefs bahutu pour placer des batutsi.
La Belgique a préféré renforcer les privilèges de caste des batutsi en leur accordant un monopole du pouvoir politique à tous les échelons. Elle suivait en cela les démarches insistentes de Monseigneur Léon Classe, vicaire apostolique du Rwanda, dont le penchant et le parti pris en faveur des batutsi était avoué clairement:
« Si nous voulons nous placer au point de vue pratique et chercher l’interêt vrai du du pays, nous avons dans la jeunesse mututsi un élément incomparable de progrès… Chefs nés, ceux-ci ont le sens du commandement… » (Extrait d’une lettre adressée le 21/9/1927 au Résident du Rwanda, Mr Mortehan. 4
Ces conceptions créeront des inégalités, accumuleront des frustrations qui, le moment venu, s’exprimeront par la révolte contre cette minorité et les préjugés raciaux qui lui font accorder des privilèges exclusifs.
Le même prélat, qui curieusement soutenait I’inégalité des hommes, réclamera toujours une hégémonie exclusive pour les eugéniques, la race des seigneurs batutsi: « Le plus grand tort que le gouvernement pourrait se faire à lui-même et au pays, serait de supprimer la caste mututsi. Une révolution de ce genre conduira le pays tout droit à l’anarchie et au communisme anti-européen ».
Cette dernière affirmation est au moins réellement opposée à ce qui arrivera plus tard en 1958-1959, ce sont les batutsi qui se sont rapprochés des partis africains d’obédience communiste (MNC Lumumba). Leurs meetings politiques auxquels j’ai assisté à Nyanza (au centre du pays) en 1959 étaient ouvertement anti-belges: « Nous vous chasserons des maisons que vous habitez… » disaient tout haut les leaders de I’UNAR (Union Nationale Rwandaise, parti monarchiste extrémiste). Ce revirement orgueilleux a d’ailleurs valu une antipathie active de l’administration belge envers ses anciens protégés batutsi. Tous les Belges, missionnaires et administrateurs, étaient choqués par de tels discours hautains.
Les partis des bahutu se réjouissaient de la fin d’un pacte belgo-tutsi qui risquait de laisser le commandement à une caste hostile et déteminée à écraser les bahutu. En fait, les batutsi pressés d’avoir le pouvoir exclusif au moment de I’indépendance, avec le monopole d’armes modernes dont la population hutu ne disposait pas, pressaient les Belges de quitter le Pays. Ils recouraient pour cela aux slogans indépendantistes qui passaient aisément aux Nations-Unies grâce au groupe afro-asiatique, et même aux superpuissances, Etats-Unis et Union Soviétique: ces dernières poussaient les pays afficains à réclamer I’indépendance, mais pour des raisons différentes qu’on peut résumer par un dénominateur commun: « Ote-toi de là, que je m’y mette! ».
Au Congo, les Belges avaient affaire à un Patrice LUMUMBA qui les avaient surpris et irrités par le discours fracassant du 30 juin 1960 devant le Roi Baudouin 1er. lls n’aimaient sûrement pas entendre ce même langage au Rwanda et au Burundi. lls se sont dès lors détournés des batutsi, et le mauvais calcul de ces derniers leur infligea une défaite au Rwanda: ce fut la fin de leurs privilèges, à cause de leur arrogance naturelle!
Au niveau des acquis de la modernité:
Dans ce domaine aussi, l’administration belge réservait le monopole aux batutsi. Certes l’administration laissait I’enseignement aux missionnaires de diverses confessions. Mais elle n’exigeait pas d’eux l’observation stricte de consignes telles que I’égalité de tous les citoyens devant l’accès à l’instruction.
Les missionnaires créaient des écoles fondées sur une ségrégation claire et avouée: Ecoles pour flls de chefs, Sections Administratives… même partout, en général, admission exclusive et sélective de jeunes batutsi. L’accès dans les séminaires s’ouvrait à quelques rares jeunes bahutu, mais là aussi, on sait bien que le clergé fut tutsi dans sa grande majorité. Ceci peut désabuser de vrais chrétiens qui constatent que même les fonctions ecclésiastiques dépendent tant des contingences temporelles comme si les fils et filles de Dieu n’étaient pas égaux quelle que soit leur race!
En 1957, lorsque j’étais en sixième année primaire, un inspecteur diocésain (mututsi évidement) est passé en classe avec des formulaires sur lesquels les jeunes élèves indiquaient leurs orientations souhaitées dans I’enseignement secondaire. Les jeunes bahutu qui ont indiqué « Groupe Scolaire d’Astrida » devaient changer! On leur disait en effet: « Sois réaliste, mon petit, tu ne peux pas entrer dans ce genre d’école: comme ton père en fut pas chef, tu ne le seras pas non plus. Tu peux indiquer à la rigueur Ecole de Moniteurs ou Petit Séminaire, ou bien rentrer cultiver les champs avec tes parents, tu es grand, tiens! ».
La frustration était pénétrante, révoltante, mais on pliait I’échine. Comme mon diocèse était jumelé avec celui de Liège, Monseigneur Kerkofs a envoyé le chanoine Eugène Ernotte pour créer un collège gréco-latin au Rwanda. Ce prélat circulait dans le pays et sélectionnait lui-même les candidats suite à un examen, que j’ai réussi, ouf! Mais souvent on ne lui présentait comme candidats que les jeunes batutsi puisque tous les inspecteurs diocésains l’étaient aussi. Ce fut quand même le seul établissement où il y eut au moins 40% d’élèves bahutu. Le chiffre est proche de la réalité: à partir des années troublées 1959 et suivantes, nous nous comptions bien par ethnies à l’école car des échauffourées avaient lieu partout entre jeunes bahutu et jeunes batutsi: en récréation, au réfectoire, et même au dortoir on ne fermait pas l’oeil! On devait savoir sur qui compter surtout sur le chemin du retour pour les vacances scolaires.
La puissance administrante des territoires du Rwanda et du Burundi n’a donc pas veillé au principe de I’égalité pour tous, sans discriminations, devant I’instruction. Cette erreur a été lourde de conséquences pour l’avenir. Devenant Premier Ministre en 1961 dans le Gouvernement provisoire, Grégoire KAYIBANDA a pris le contrôle du Ministère de l’Education Nationale pour que les enfants du petit peuple puisse avoir un libre accès à l’enseignement.
Le même Grégoire Kayibanda, devenu Président de la République, en 1962, s’est empressé pour créer I’Université Nationale du Rwanda en 1963: il fallait vraiment être visionnaire pour penser à créer un Temple de la science en pleine brousse, à côté d’un arboretum, loin de toute tradition académique.
Des théories pseudo-scientifíques tendancieuses
Les batutsi, eux, s’attribuaient une origine céleste. Leur apparition sur terre ne serait due qu’à des circonstances tout à fait fortuites, nous l’avons développé précédemment. Quel orgueil!
Les théories pseudo-scientifiques d’ethnologues et anthropologues européens tendaient à remonter les batutsi de façon à situer leur origine le plus près possible de I’Europe et à les apparenter ainsi aux Européens. La confusion est grande: cette origine, ce serait I’Ethiopie pour ceux qui les apparentent à la tribu des Galla; pour d’autres, ce serait encore plus haut, dans le Caucase, où même ce serait une variété tribale indo-européenne, donc des Européens a peau noire comme il existe des juifs noirs, les Fallachas… Les hypothèses abondent dans le même sens. Les Européens installés au Rwanda et au Burundi en sont convaincus. lls répandent ces théories, notamment chez les jeunes. Les jeunes batutsi y trouvent une justification supplémentaire de leur orgueil, tandis que les jeunes bahutu entendent par là une raison objective de les considérer comme des étrangers qui devraient retoumer chez eux de gré ou de force. Dans son discours récent à Gisenyi, Léon MUGESERA, du MNRD (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement), leur suggérait d’emprunter la voie la plus rapide, la Nyabarongo, c’est-à-dire par noyade. Il appliquait par là ce que ces pseudo-scientifiques avaient tant de fois avancé, sans preuves rigoureuses, et sans unanimité d’ailleurs.
De toutes manières, les Européens avaient bonne conscience de n’accorder des privilèges de caste qu’è une tribu apparentée à eux, et les batutsi voyaient leur arrogance justifiée par des savants Européens. Ceci fut lourd de conséquences dans les relations interethniques au Rwanda et au Burundi.
D’autres affirmations flatteuses pour les batutsi, leur attribuaient une beauté physique inégalée: « …ces hommes de haute taille, atteignant la moyenne de 1,79 mètres et dépassant deux mètres chez quelques géants, minces de corps, aux membres longs et grêles, réguliers de traits de port noble, graves et hautains ». 5
Et pourtant il suffit de regarder la photo de MUSINGA, mututsi par excelence, avec la proéminence exagérée de ses incisives supérieures qui avancent visiblement hors de la cavité buccale même quand la bouche est fermée, pour y voir un trait physique comparable à celui de certains rongeurs. Quant à ses gros yeux myopes qui lui dépassent leur orbite, et qu’on appelle typiquement princiers, ce n’est pas là un portrait physique flatteur.
D’autres « canons de beauté » (sic) que I’on retrouve particulièrement chez les femmes, tel ce développement fessier démesuré qui disproportionné les dimensions générales du corps, ce n’est pas là un trait qui serait apprécié dans un concours de beauté! La photographie de Charles Mutara RUDAHIGWA souligne cette particularité féminine tutsi, ce qui est plutôt rare chez les hommes.
Les batutsi s’enorgueillissent d’une soi-disante beauté parce que ces descriptions d’Européens font éloges même des tares physiques manifestes. Tout enfant du monde est beau, s’il a été bien entretenu: cela dépend uniquement du niveau économique de la familie et non de la race.
Lorsque Casimir Bizimungu, alors Ministre rwandais (muhutu) des Affaires Etrangères a rencontré Paul Kagame et sa délégation chez Mobutu durant la guerre, il a cru avoir affaire à des sauvageons « imihirimbiri », a-t-il dit publiquement à son retour. L’impression était exacte car ces batutsi vivaient dans I’inconfort total du maquis. Ce n’était pas une tare imputable à leur race, mais le résultat de leur pénible condition d’existence: Ils avaient effectivement une apparence extérieure de sauvageons! L’arrogance des batutsi qui s’enorgueillissent encore d’une vaine beauté leur a été inspirée par ces écrits, donc par des influences externes.
En résumé, on peut donc retenir que la Belgique n’a pas modernisé les institutions politiques désuètes, qu’elle n’a pas inculqué à des populations peu évoluées au niveau politique, les droits et devoirs élémentaires du citoyen et du dirigeant. Par contre, elle a renforcé les privilèges exclusifs de la caste tutsi en destituant chefs et sous-chefs bahutu. Le droit à l’instruction fut réservé aux seuls batutsi, et la frustration chez les autres devait être source de conflits pour l’avenir.
Pour légitimer la monopolisation du pouvoir et d’autres privilèges par les batutsi, des théories pseudo-scientifiques non démontrées avec rigueur les ont apparentés aux Européens, justifiant ainsi leur aptitude innée à commander aux Noirs de tout le Continent Africain.
Enfin une théorie superficielle leur attribue une esthétique physique sans faille, ce qui donne du crédit à leur arrogance vis-à-vis des autres. Ces influences externes ont engendré des frustrations et préparé le terrain à des affrontements interethniques inevitables et à un dessein d’un orgueil téméraire: par des guerres de conquêtes, créer un vaste empire Hima.
Lorsque certains bahutu assassinaient des batutsi, ils consídéraient qu’ils tuaient en fait l’arrogance incarnée et non des personnes humaines; c’est psychologiquement apaisant.
Un pouvoir absolu monopolisé pendant des siècles a donc gonflés les batutsi d’un orgueil qui les dresse contre tous les autres peuples de la région interlacustre, considérés comme des races inféricures, obligées par la nature à se soumettre à la caste noble! Volonté Divine …
Toutes les justifications les plus absurdes sont avancées:
* origine celeste de la race préférée des dieux;
* provenance indo-européenne pour certains ethnologues, sans preuves rigoureuses;
* supériorité d’une race née pour commander à d’autres;
* arrogance démesurée à propos de traits physiques considérés comme des canons de beauté, même quand il s’agit de tares manifestes.
On est proche des théories nazies. L’ethnie mututsi réclame le pouvoir absolu à Kampala, Kigali, Bujumbura et Kinshasa, en vertu des justifications futiles érigées en mythes et légendes. Elle se heurte à une hostilité croissante des groupes bantous, comme les nazis ont affronté le monde entier, sont vaincus sans disparaître totalement.
Des documents sonores dont les textes doivent encore être traduits en français et en anglais, attestent du développement en Afrique des Grands Lacs, d’une idéologie raciste et violente, avec des justifications divines.
POUR MIEUX M’IDENTIFIER, AFIN QUE VOUS N’AYEZ PAS L’IMPRESSION D’AVOIR AFFAIRE A UN POLTRON QUI SE CACHE POUR PARLER COMME CES OISEAUX QUI SE CACHENT POUR MOURIR, JE JOINS UN CURRICULUM VITAE…
I. Identification
Nom: SHYIRAMBERE Prénom: Spiridion
Né à RWAMATAMU (Rwanda) le 21 mars 1944
Nationalité d’origine: rwandaise
actuelle : belge, depuis 1992
Domicilié à: 1370 JODOIGNE ( Belgique)
Résidence Les Rendanges
Boulevard des Rendanges, 8, bte 3
Père de 7 enfants
Père adoptif de 3 enfants
II. Etudes
1952-1958 Ecole primaire,Rwamatamu (Rwanda)
1958-1965 Humanités gréco-latines, Nyanza (Rwanda)
1965-1969 Licence en Philologie romane, U.C.L., Leuven
Février 1970 Agrégation de I’Enseignement secondaire supérieur en Philologie romane, U.C.L., Leuven
1969-1973 Doctorat en Philologie romane, U.C.L., Leuven.
III. Carrière
Juillet 1973-Sept. 1973: A la tête d’une délégation diplomatique rwandaise en République populaire de Chine.
Octobre 1973: Professeur à la Faculté des Lettres de l’Université nationale du Rwanda.
1975: Fullbright Scholar, University of California, Los Angeles.
1976: Conseiller à l’Ambassade du Rwanda auprès de I’O.U.A. et de l’Ethiopie.
Octobre 1976: Secrétaire général de l’Université nationale du Rwanda et professeur à la Faculté des Lettres
1981: Détention politique à Ruhengeri cfr. Rapport annuel Amnesty International.
1985: Libération conditionnelle et exil en Belgique.
1987: Professeur de français au degré supérieur dans divers établissements de la Communauté française de Belgique:
Athénée Royal de Virton
Athénée Royal d’Athus
Ecole Normale de l’Etat, Virton
lnstitut Technique de l’Etat, lzel
lnstitut Technique Etienne Lenoir, Arion
lnstitut des Cadres de la Jeunesse, Mirwart.
IV. Publications
« Contribution à l’étude sociolinguistique du bilinguisme », Paris, Selaf, 1978.
En collaboration:
« Le Francais hors de France », Paris, Honoré Champion, 1979.
« Dictionnaire du français d’Afrique », Paris, Aupelf, 1979.
En préparation:
« Les ethnarchies sanglantes de l’Afrique Centrale »
V. Sociétés savantes
* Membre titulaire du Conseil Internacional de la Langue Française, Paris.
* Membre de I’Institut Panafricain de Géopolitique, Nancy.
* Membre de l’Association d’Etudes Linguistiques lnterculturelles, A.E.L.I.A., Aupelf , Paris.
N.B. Activités handicapées par la détention et les aléas de l’exil politique.
NOTES:
1. L. de Lacger: Le Rwanda ancien et moderne.
2. L. de Lacger: Le Rwanda ancien et moderne.
3. G. Logiest: Mission au Rwanda.
4. L. de Lacger: Le Rwanda ancien et moderne.
5. L. de Lacger: Le Rwanda ancien et moderne.