Alors que les partisans de Victoire Ingabire célèbrent encore la libération surprise de la figure de l’opposition rwandaise intervenue ce samedi 15 septembre 2018 suite à une grâce présentielle, le chef de l’Etat rwandais vient, dans un discours adressé devant le parlement ce mercredi 19 septembre, de doucher les espoirs de ceux qui espéraient que la libération de Victoire Ingabire préfigurait l’ouverture de l’espace politique du Rwanda, un pays dirigé par un des régimes les plus répressifs de l’histoire.
C’est par un tweet laconique, diffusé dans la soirée du vendredi 14 septembre 2018 par le Ministère de la justice rwandais que la surprenante nouvelle a été publiquement annoncée : « Le réunion du Conseil des ministres a approuvé la libération anticipée de 2140 condamnés. Parmi eux, Kizito Mihigo et Victoire Umuhoza, qui ont reçu une grâce présidentielle pour le restant de leur peine, après leur récente demande de grâce en juin 2018. »
Dans la foulée de cette annonce surprise, des messages de remerciement et de louanges, certains même frisant le fanatisme, adressés à Paul Kagame ont commencé à pleuvoir sur les réseaux sociaux : « Paul kagame n’est pas seulement un nationaliste mais un dirigeant envoyé pour nous par le ciel, » pouvait-on lire sous la plume de William, ou encore « Dieu est bon! Kagame Paul est bon. Que Dieu le bénisse » sous la plume de Julius.
Du côté des voix habituellement critiques, si certains se contentaient d’un sobre « Merci Paul Kagame », d’autres comme Louise étaient plus critiques refusant de remercier une « dictature » pour avoir « libéré quelques prisonniers politiques qui n’auraient jamais du être emprisonnés », d’autres encore, comme Nadine, se voulaient plus incisifs et demandaient « Entre Paul Kagame d’une part et Kizito Mihigo et Victoire Ingabire de l’autre, qui a besoin de demander pardon à qui ?»
Dès le lendemain matin de cette annonce, Kizito Mihigo et Victoire Ingabire, en compagnie de 2138 autres détenus faisaient leurs premiers pas à l’extérieur après respectivement 4 ans et 8 ans d’emprisonnement devant une flopée de journalistes et photographes.
Lors d’une conférence de presse improvisée à quelques pas de la prison, l’artiste chrétien a remercié le président Paul Kagame pour sa grâce présidentielle qui montre sa « force de cœur » et déclaré vouloir à titre personnel « se construire », chercher une femme et construire un foyer tout en poursuivant le travail qu’il fait depuis qu’il est enfant et visant à l’unité et la réconciliation des Rwandais.
Interrogé sur la demande de pardon qu’il a adressée au président Kagame, Kizito a déclaré avoir décidé de se désister de son appel et de demander pardon car « Je savais à qui je m’adressais, je connais le Président de la république comme quelqu’un ayant un cœur et à même de m’accorder son pardon. »
Victoire Ingabire a pour sa part d’abord remercié les personnes qui se sont occupées d’elle en prison, son mari et ses enfants, les partisans des FDU ainsi que les autorités carcérales « qui ont apporté beaucoup d’améliorations dont elle a été témoin dans les prisons rwandaises tout au long de ses années d’incarcération ».
Elle a ensuite remercié le Président de la république, pour l’avoir « libéré et remis à la vie normale » déclarant penser que ce geste est un signe démontrant que Paul Kagame « se rend compte désormais lui-même que le mieux pour le pays est que les Rwandais aux positions diverses puissent s’unir pour bâtir ensemble la nation ». La leader d’opposition rwandaise a ensuite refusé de répondre aux autres questions notamment celle posée de manière pressante par les journalistes concernant la demande de pardon qu’elle aurait adressée à Paul Kagame en juin 2018 et qui serait à l’origine de sa libération.
« Je ne peux pas demander pardon pour un crime que je n’ai pas commis »
Le lundi 17 septembre, au lendemain de sa libération, Victoire Ingabire a exprimé sa joie et sa surprise face à sa libération sur les ondes de la BBC. Interrogée par le journaliste sur sa demande de pardon dont s’est fait écho la presse rwandaise pro-gouvernementale, elle a déclaré: « On demande pardon pour un crime qu’on a commis, je n’ai commis aucun péché, je n’ai jamais reconnu avoir commis le moindre crime ni devant la justice, ni devant aucune autorité, je n’ai pas demandé pardon pour un crime que je n’ai pas commis et qui aurait justifié ma détention,» expliquant que la confusion vient du fait qu’en kinyarwanda, le terme « grâce présidentielle » se traduit par le mot « imbabazi », le même mot utilisé pour « pardon ».
Elle a ensuite expliqué avoir sollicité la grâce présidentielle car elle ne voyait « aucune raison de rester en prison d’autant plus qu’une décision de la Cour [Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples] venait de décider qu'[elle] n’aurait jamais du être emprisonnée. »
Dans la même interview elle a également déclaré que son parti n’avait pas d’ambition de prendre le pouvoir, mais de lutter pour l’ouverture de l’espace politique au Rwanda. Au sujet des risques de retourner en prison si elle continue sa lutte, elle a déclaré ne pas craindre une telle éventualité : « Je ne fais rien de mal, je partage simplement mes réflexions sur comment nous pouvons construire une nation rwandaise encore plus solide et avec un meilleur vivre ensemble que ce qu’on connait actuellement, mais si je dois retourner en prison, j’ai dit aux gens que la prison était une école, la prison est un chemin, ce n’est pas parce que Ingabire est emprisonnée que cette construction d’une meilleure nation doit s’arrêter, je pense même que le fait de m’emprisonner est aussi un passage vers ce meilleur avenir. »
Elle a conclu en déclarant qu’elle allait continuer sa lutte et demander aux autorités rwandaises de libérer les autres prisonniers politiques, notamment les dirigeants de son parti encore emprisonnés, Diane Rwigara, Déo Mushayidi et plusieurs autres, et qu’elle comptait montrer aux autorités rwandaises qu’« emprisonner quelqu’un pour ses idées politiques donne une mauvaise image du pays alors que cela n’apporte rien à ceux qui les emprisonnent, au moment où on a besoin d’avoir un pays ayant une bonne réputation. »
La question du pardon présidentiel enflamme les débats
Suite à cette interview la question du pardon que Victoire Ingabire aurait ou non invoqué auprès de Paul Kagame a enflammé les débats et fait la une des journaux, en particulier pro-gouvernementaux et a enflammé les discussions sur les réseaux sociaux, plusieurs commentateurs pro-gouvernementaux postant des photos de lettres de demande de « pardon » pour prouver qu’elle mentait.
Plusieurs média pro-gouvernementaux ont ainsi consacré plusieurs articles à ce sujet, Igihe.com titrant par exemple ce mardi 18 septembre 2018 « Pourquoi Ingabire continue à fuir le pardon qu’elle a sollicité afin d’être libérée ? ». La télévision nationale rwandaise s’est également emparé du sujet, faisant même de la question du « pardon/grâce présidentiel(le) » de Victoire Ingabire le sujet de son débat du mardi 18 septembre 2018. Au cours de cet échange avec le journaliste l’ancien opposant Evode Uwizeyimana, invité en sa qualité de représentant de l’Etat rwandais, s’est ainsi longuement exprimé sur la question, déclarant notamment que l’emprisonnement et la libération de Victoire Ingabire et Kizito Mihigo « n’avaient rien de politique ».
« Le Rwanda est imperméable à la pression »
Ce mercredi 19 septembre 2018, c’est Paul Kagame lui-même qui, dans un discours prononcé devant le nouveau parlement, est revenu sur la question. Faisant d’abord allusion aux informations selon lesquelles les libérations de Victoire Ingabire et Kizito Mihigo auraient été dues aux pressions extérieurs, le numéro un rwandais a d’abord clarifié les choses, déclarant qu’au Rwanda, les choses « changeront de la manière dont nous (en mettant la paume de la main sur sa poitrine) le souhaitons et non de la manière dont les autres le souhaitent. »
Faisant ensuite allusion à la libération de Victoire Ingabire, l’ancien chef rebelle a ainsi déclaré: « L’autre jour, nous avons libéré de gens, parmi eux, se trouvaient ces stars politiques, de la politique extérieure et sans aucune base dans le pays, ce n’est pas la première fois que nous le faisons et après tu les entends (mimant de sa main droite et d’un air moqueur et méprisant une personne qui blablate), je n’ai pas demandé pardon , ils ont du nous libérer à cause de la pression; » et d’ajouter d’une voix ferme sur un ton interrogatif, « Pression ici ? » sous les applaudissement nourris du parlement, avant de continuer, « Si tu continues dans cette voie, tu vas te retrouver de retour là bas (en prison) » sous une nouvelle salve d’applaudissement et de rires des députés.
Se faisant encore plus clair dans son propos, l’homme de fer de Kigali a ensuite déclaré, comme en signe d’avertissement: « Si ce dont on a besoin est une preuve que ce n’est pas la pression qui marche, tu peux te retrouver de retour dedans (en prison) ou te retrouver à nouveau en train de vagabonder en exil, car tu n’y feras rien d’autre, » avant de conclure fermement: « Au Rwanda, vu d’où on vient, on a appris beaucoup de leçons nous rendant imperméable à la pression, donc celui qui le veut, ferait mieux de faire profil bas. »
Source d’origine: Jambonews