Le 20 février 2025, le Département d’État américain a annoncé des sanctions contre James Kabarebe, ministre d’État rwandais chargé de l’intégration régionale, et Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23 et de l’Alliance du fleuve Congo. Deux entreprises sous le contrôle de Kanyuka, Kingston Fresh et Kingston Holding, ont également été sanctionnées. Ces mesures marquent une nouvelle escalade dans la pression exercée par Washington contre le rôle du Rwanda dans la crise qui secoue l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).
Depuis décembre 2024, le M23, soutenu par l’armée rwandaise, a poursuivi son avancée en RDC, s’emparant successivement de Goma le 27 janvier, puis de Bukavu le 16 février. Cette expansion territoriale a entraîné des violences contre les civils, causant la mort de milliers de personnes et le déplacement de centaines de milliers d’autres. Trois casques bleus ont également été tués et plusieurs autres blessés lors d’attaques menées par le M23 et les Forces de défense rwandaises (RDF). La communauté internationale, inquiète d’un possible embrasement régional, a intensifié ses pressions sur Kigali.
Les États-Unis demandent au Rwanda de cesser son soutien au M23 et de retirer immédiatement toutes ses troupes du territoire congolais. Washington insiste sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RDC et appelle à une reprise des négociations sous l’égide du processus de Luanda, dirigé par l’Angola. En sanctionnant Kabarebe et Kanyuka, les États-Unis veulent envoyer un signal fort à Kigali, soulignant leur détermination à tenir pour responsables ceux qui alimentent l’instabilité en RDC.
James Kabarebe est un acteur majeur dans les conflits de la région des Grands Lacs depuis près de trois décennies. Ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise et ex-ministre de la Défense, il est accusé d’être l’architecte du soutien militaire et logistique du Rwanda au M23. Selon Washington, il supervise les financements du mouvement rebelle et gère l’exploitation des ressources minières pillées en RDC avant leur acheminement vers le Rwanda pour exportation. Le Trésor américain le désigne comme un maillon essentiel du réseau qui permet au M23 et aux RDF de poursuivre leurs activités militaires et économiques en RDC.
Lawrence Kanyuka, quant à lui, est accusé de jouer un rôle clé dans la propagande et la diplomatie du M23. En tant que porte-parole du mouvement, il justifie les offensives du groupe et facilite ses relations avec certains acteurs internationaux. Ses entreprises Kingston Fresh et Kingston Holding, basées au Royaume-Uni et en France, sont suspectées de financer les activités du M23, notamment via le commerce de ressources minières provenant des zones contrôlées par les rebelles.
Les sanctions imposées par les États-Unis impliquent le gel de tous les avoirs de Kabarebe, Kanyuka et leurs entreprises sur le territoire américain. Toute transaction avec eux est désormais interdite pour les citoyens et entités américaines. Le gouvernement congolais a salué ces mesures, les considérant comme une reconnaissance officielle de la responsabilité du Rwanda dans la crise sécuritaire qui ravage l’Est du pays. Kinshasa espère que ces sanctions marquent le début d’une série d’actions similaires de la part de l’Union européenne et du Conseil de sécurité des Nations unies.
Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais, a accueilli favorablement cette décision, affirmant que ces sanctions marquent le début d’une longue série de mesures que Kinshasa attend de la communauté internationale pour contraindre le Rwanda à cesser ses ingérences. Selon lui, le Conseil de sécurité de l’ONU, l’Union européenne et d’autres partenaires doivent suivre l’exemple américain et imposer des sanctions plus robustes pour forcer Kigali à retirer ses troupes de RDC et cesser ses activités criminelles sur le territoire congolais.
Le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, a également réagi en saluant ces sanctions économiques contre James Kabarebe et Lawrence Kanyuka. Il a souligné que ces mesures confirment le rôle direct du Rwanda dans le soutien au M23 et a ajouté que le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) est désormais saisi du dossier. Cette déclaration laisse entendre que Kinshasa espère voir des poursuites judiciaires internationales engagées contre les responsables des crimes commis à l’Est du Congo.
De son côté, Kigali a vivement dénoncé ces sanctions. Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement rwandais, les a qualifiées d’injustifiées et inefficaces. Selon elle, ces mesures ne contribuent pas à la résolution du conflit et risquent d’entraver les efforts régionaux en faveur d’une solution politique. Le ministre des Affaires étrangères rwandais, Olivier Nduhungirehe, a également fustigé la décision américaine, reprochant à Washington de ne pas sanctionner les groupes armés congolais alliés aux FARDC, notamment les FDLR. Kigali accuse régulièrement Kinshasa d’utiliser des mercenaires étrangers et des milices hostiles au Rwanda, une affirmation que la RDC rejette catégoriquement.
L’implication du Rwanda dans la crise congolaise est depuis longtemps un sujet de discorde entre Kigali et la communauté internationale. Les Nations unies, l’Union africaine et plusieurs gouvernements occidentaux dénoncent l’appui militaire et logistique fourni par le Rwanda au M23. Des rapports d’experts onusiens ont documenté la présence de troupes rwandaises en RDC et leur participation active aux combats aux côtés des rebelles. Malgré ces accusations, le président rwandais Paul Kagame continue de nier toute ingérence et justifie les actions de son pays par la nécessité d’assurer la sécurité de ses frontières face aux menaces émanant du territoire congolais.
Cette nouvelle série de sanctions s’inscrit dans une stratégie plus large visant à couper les sources de financement des groupes armés opérant en RDC. En 2022 et 2023, les États-Unis avaient déjà pris des mesures similaires contre des responsables de plusieurs factions, dont le M23, les FDLR, les FARDC et d’autres groupes impliqués dans les violences à l’Est du pays. Parmi les personnalités sanctionnées figuraient Apollinaire Hakizimana et Sebastian Uwimbabazi des FDLR, ainsi que Bernard Byamungu et Bertrand Bisimwa du M23. Ces sanctions, bien que symboliques, ont parfois eu un impact limité sur le terrain, en raison de la complexité des réseaux financiers et logistiques qui soutiennent ces mouvements armés.
L’administration du président congolais Félix Tshisekedi a intensifié sa campagne diplomatique pour obtenir un soutien international plus ferme contre l’ingérence rwandaise. Kinshasa réclame la suspension de toute aide économique et militaire accordée à Kigali tant que les troupes rwandaises ne se seront pas complètement retirées du territoire congolais. Cette position est soutenue par plusieurs membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), bien que certains pays continuent de plaider pour une solution négociée.
Dans ce contexte, les prochaines décisions des partenaires internationaux, notamment de l’Union européenne et des Nations unies, seront déterminantes. Si d’autres puissances emboîtent le pas aux États-Unis en imposant des sanctions similaires, le Rwanda pourrait être contraint de revoir sa stratégie. À l’inverse, si ces mesures restent limitées à Washington, elles risquent de ne pas suffire à freiner l’expansion du M23 et la poursuite des violences en RDC.
La situation à l’Est du Congo demeure extrêmement volatile. Le M23 et l’armée rwandaise continuent d’étendre leur contrôle sur des zones stratégiques, malgré les condamnations internationales. Pendant ce temps, les populations civiles paient le prix fort de ce conflit qui s’intensifie jour après jour. Les récentes sanctions américaines marquent une étape importante dans la reconnaissance du rôle du Rwanda dans cette crise, mais elles ne garantissent pas pour autant un changement immédiat sur le terrain. La communauté internationale devra redoubler d’efforts pour mettre fin à cette guerre qui dure depuis trop longtemps.
Source: The Rwandan
Photo : Le président rwandais Paul Kagame et le ministre de la défense de l’époque James Kabarebe, à droite, lors de la remise des diplômes de l’école de commandement et d’état-major des forces de défense rwandaises à Musanze, le 10 juin 2013.
Rwanda⁄RDC : Qui est James Kabarebe, sanctionné par les Etats-Unis ? (TV5 Monde, 21.02.2025)