John Philpot Secretaire général adjoint Association americaine de juristes Montréal, Québec , Octobre 1997
Texte présenté lors de la 11ième Conférence Continentale de l’Association américaine des Juristes
Guatemala, 6-10 octobre 1997
Depuis cinq ans, une très grande crise a secoué l’Afrique Centrale. Des millions de morts, une guerre interminable sans fin, une crise des réfugiés permanente, une intervention internationale, d’intenses campagnes médiatiques, sont les points forts de cette crise qui a marqué les esprits. Les droits de l’homme, les crimes de guerre, le droit d’ingérence, l’impunité, sont des sujets qui ont été abondamment traités dans les médias. Les acteurs majeurs de la crise parmi les Occidentaux sont les États-Unis, le Canada et la Grande Bretagne.
Les principes fondamentaux ont été relégués à l’arrière-plan – le droit à la paix contre une agression étrangère, le droit à l’autodétermination et le principe de l’inviolabilité des frontières, le droit des réfugiés d’être traités selon les principes du droit international, le principe de la responsabilité criminelle pour les auteurs de graves crimes de guerre. Les agences des Nations Unies et la plupart des organisations non gouvernementales (ONG’s) et des droits de l’homme ont joué un rôle important dans la crise. Ils ont soutenu l’agression en donnant une caution morale aux horreurs imposées par cette recolonisation de l’Afrique Centrale. Il y a vingt ans, la cette participation intéressée des grandes puissances dans la crise aurait été condamnée par la plupart de progressistes. Mais, actuellement beaucoup des progressistes ont appuyé la politique étrangère des États-Unis, de la Grande Bretagne et du Canada, condamnant les groupes ethniques africains eux-mêmes pour les pertes humaines massives dans le conflit. Ceux qui sont d’un avis contraire, qui vont à contre-courant des idées reçues, sont tués, diffamés, frappés d’ostracisme. Cette perspective et le non respect du droit international comportent des risques extrêmement graves pour les peuples du monde. Les grandes puissances, dont à la tête les États-Unis, croient qu’ils ont de facto, le droit d’intervenir directement ou indirectement où ils veulent et quand ils veulent.
Dans cet exposé, nous passerons en revue les principes du droit international et nous examinerons dans quelle mesure ils ont été transgressés. Nous conclurons sur les perspectives pour l’Afrique et l’Amérique Latine. L’Association Américaineaméricaine de Juristes a longtemps lutté pour le respect du droit international. Il est grand temps d’engager une discussion honnête à propos de ces problèmes de cette fin de siècle qui ressemblent de plus en plus à ceux de la dernière décennie du 19e siècle.
Questions légales
1. Guerre, Paix et Frontières nationales
Aucun pays ne doit envahir son voisin. La Charte des Nations Unies a établi l’égalité souveraine des Nations. La planification et la mise en oeuvre d’une guerre d’agression sont les plus grands crimes au dessus de tous les autres crimes de guerre selon la jurisprudence de Nuremberg. La Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et la Convention de l’OUA de 1969 relative aux divers aspects des problèmes des réfugiés en Afrique, fondent la notion de l’inviolabilité des frontières. Ces textes exigent des États de ne pas permettre aux réfugiés en exil d’utiliser le pays d’accueil comme base arrière pour lancer des attaques contre leur pays d’origine. La décolonisation et l’exercice du droit à l’autodétermination établissent le principe de l’intangibilité des frontières coloniales comme sécurité contre la déstabilisation. Simon Bolívar a soutenu le principe de l’uti posseditis – l’inviolabilité des frontières à l’accession de l’indépendance. Ces principes ont été maintenus pendant la décolonisation de l’Afrique. Tout faux prétexte selon lequel ces frontières devraient être revues constitue une négation de l’idéal républicain et de l’autodétermination. Ce ne sont ni plus ni moins que de vains arguments au bénéfice du pouvoir de l’argent en vue d’une nouvelle conférence de Berlin pour redessiner la carte de l’Afrique.
2. Le droit relatif aux réfugiés
Le droit des réfugiés s’est développé après la Seconde Guerre Mondiale avec la fondation du Haut Commissariat aux Réfugiés et l’adoption des Conventions de Genève en 1951 et en 1967. Le Haut Commissariat aux Réfugiés (H.C.R.) a pour premier rôle la protection des réfugiés. Selon l’article 32 de la Convention relative au Statut des Réfugiés, sous aucun prétexte les réfugiés ne peuvent être refoulés vers leur pays d’origine sans leur consentement. Les réfugiés jouissent des droits politiques et civils.
3. L’impunité
Le combat contre l’impunité est nouveau. Il est né de la revendication de la justice, d’abord au nom des victimes des dictatures appuyées par les États Unis comme en Argentine, au Chili, à Haïti, El Salvador, au Guatemala, en Afrique du Sud et ailleurs. Il est fondé sur le principe universel de l’égalité devant la loi et de la responsabilité criminelle des auteurs des violations des droits de l’homme. Le règne de l’impunité constitue le problème primordial dans ces pays où la plupart des personnes soutenues par les États Unis, responsables de massacres sanglants et de persécution de milliers de gens, mènent une belle vie, se promènent librement sous prétexte que la réconciliation et la démocratie exigent le pardon des crimes commis dans le passé. Il s’avère qu’un pays ne peut se reconstruire sous une dictature, lorsque les bourreaux et les auteurs de violations massives des droits de l’homme sont en mesure de récidiver dès que le régime est mis en danger par la lutte du peuple pour la justice et les droits socio-économiques.
Les principes du droit face à la crise de l’Afrique des Grands Lacs
La crise a commencé le 1e octobre 1990 avec l’invasion du Rwanda à partir de l’Ouganda par une partie de l’Arméel’armée ougandaise. L’invasion était organisée par des Tutsi Rwandais exilés qui avaient quitté le Rwanda après l’indépendance de 1962, soutenus en cela par les États Unis, la Grande Bretagne et la Belgique. Le prétexte unanime de cette guerre était le rétablissement des droits de l’homme, la justice et la démocratie au Rwanda. En réalité c’était le commencement d’une invasion militaire à partir de l’Ouganda et le massacre et l’élimination de la vie politique de la majorité nettoyage ethnique de populations Hutu au pouvoir au Rwanda depuis l’indépendance. Les envahisseurs s’appellaient l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) avec comme représentation politique le Front Patriotique Rwandais (FPR). L’un des principaux dirigeants, le Général Paul Kagamé, formé aux États-Unis à Fort Leavenworth, avait été le Chef des renseignements militaires de l’armée ougandaise NRA (National Resistence Army).
Au mois d’août 1993, avec le soutien diplomatique et l’aide de la Banque Mondiale, le Front Patriotique Rwandais réussit à imposer sa « »démocratie »» au Rwanda avec les accords politico-militaires d’Arusha par lesquels le Gouvernement Rwandais devait partager le pouvoir politique et militaire avec les envahisseurs. Le Rwanda avait alors entamé un processus démocratique et instauré le multipartisme. Les institutions de Bretton Woods, les diplomates et le FPR avaient insisté pour que les postes du Gouvernement et le pouvoir militaire soient partagés avec le FPR. Cela était fondé au nom du respect des droits de l’homme. L’aide financière de la Banque Mondiale pour le Gouvernement Habyarimana était soumise à ces accords. Il faut constater ici comment le colonialisme peut s’imposer indirectement à travers les «droits de l’homme». En décembre 1993, une mission militaire du Conseil de Sécurité a débarqué au Rwanda (après le fiasco en Somalie en 1992 et la mise sous tutelle de l’Iraq depuis 1990). Cette mission militaire des Nations Unies a aidé et poussé le FPR à prendre le pouvoir. Lorsque l’avion des deux présidents Hutu, Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, fut abattu au-dessus de l’aéroport de Kigali, le 6 avril 1994, la violence ethnique éclata et plusieurs milliers de Tutsi et de Hutu périrent devant les caméras des médias occidentaux. Les horribles détails de la campagne militaire et du carnage ethnique ne font pas l’objet de cette communication.
Plusieurs éléments doivent cependant être relevés:
1. L’appui massif de beaucoup d’ONG’s en faveur du FPR et l’invasion internationale sous le couvert du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Le discours du génocide et violations des droits de l’homme était la seule manière de justifier cette invasion.
2. A partir du 1er octobre 1990, les défenseurs du Rwanda ont été décrits comme des tyrans génocidaires tandis que l’armée des envahisseurs Tutsi appuyés par les États Unis étaient décrits comme un corps discipliné de combattants de la liberté.
3. Le Gouvernement Hutu du Rwanda (le Rwanda était à 85-90% Hutu) a été renversé par une dictature de la minorité Tutsi, sans perspective de gouvernement de la majorité, ni d’élections en vue – elles sont formellement interdites – et plus de 100.000 Hutu, enfants et adultes, dont quelques plusieurs femmes, se sont retrouvés en prison, sous «l’accusation» de génocide.
4. L’intervention massive des États-Unis, de la Grande Bretagne et du Canada ainsi que des ONGs pour reconstruire le Rwanda et juger la majorité Hutu selon l’actuelle stéréotype. L’influence française dans la région est en déclin et les Français sont mis en cause pour complicité dans la catastrophe.
5. Le black-out dans plusieurs milieux à propos de l’invasion militaire à partir de l’Ouganda en violation des principes de base du droit africain et international.
6. Consolidation militaire et réarmement du Rwanda par les États-Unis et la Grande Bretagne en préparation de la seconde étape.
7. La présence manifeste de l’Ouganda au Rwanda: beaucoup de soldats de l’occupation du Rwanda parlent une langue ougandaise et non le Kinyarwanda. Il y a consolidation du commandement militaire Museveni (Ouganda) – Kagamé (Rwanda).
Étape suivante: le Zaïre
La même procédure a été suivie au Zaïre, sous le prétexte d’instaurer la démocratie et la protection des droits de la minorité Tutsi au Zaïre, l’Armée rwando-ougandaise a envahit en catimini le Zaïre en début septembre 1996. La cible apparente, c’est le dictateur mourant, Mobutu. Les premières victimes furent les Hutu sans défense réelle dans les camps de réfugiés de l’Est du Zaïre. Après avoir renforcé l’attaque et bombardé les camps des réfugiés à l’artillerie lourde en novembre 1996, l’armée des envahisseurs a dispersé les réfugiés dans les forêts de l’Est du Zaïre.
Abandonnés par le H.C.R. et d’autres organisations de l’aide internationale, quelques 500.000 réfugiés revinrent au Rwanda sous le feu de leurs ennemis. Dans l’Est du Zaïre, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont été affamés, tués par des maladies ou systématiquement massacrés de sang-froid en dehors du regard des médias internationaux bannis de cette région. Après avoir rencontré une certaine résistance au départ, l’armée d’invasion marchait vers l’Ouest et prit Kinshasa la capitale en fin mai 1997. Dans ce contexte, les pays qui semblent actuellement en danger sont le Kenya, la République Centrafricaine et la République Islamique du Soudan. Au Zaïre, la campagne militaire a été conduite sous le prête-nom de l’ex-révolutionnaire trafiquant de diamant et d’autres minerais, Laurent Désiré Kabila, avec comme prétexte, le renversement de la dictature de Mobutu mise en place par les États-Unis 30 ans auparavant et l’instauration de la démocratie et des droits de l’homme. Au cours de cette brève expédition militaire, les observateurs ont constaté que les forces de Kabila avaient froidement massacré probablement plus de civils sans défense et pour des raisons racistes que n’en avait tué Mobutu pendant trente ans de pouvoir. Le processus de démocratisation qui prévoyait les élections a été renvoyé aux calendes grecques et toute activité politique suspendue. Pendant la progression des troupes, les compagnies minières américaines et canadiennes obtinrent des concessions colossales dans l’Est du Zaïre. Le Zaïre est aujourd’hui non seulement sous le joug d’une dictature, mais aussi sous occupation étrangère.
Encore une fois, on a totalement passé outre le droit international. Les frontières nationales n’ont plus aucune signification. Le traditionnelle principe historique de l’inviolabilité des frontières, renforcé pendant les révolutions et les périodes périodes républicaines, a été ignoré. C’est devenu une routine: une invasion armée par des libérateurs étrangers installe un gouvernement pro-américain – tel est le cas du Rwanda et du Zaïre. L’establishment de l’ONU à Genève et New York et les principales ONG’s internationales ont soutenu ces agressions. Sous le prétexte du caractère artificiel des frontières imposées par la conférence impériale de Berlin en 1885, on dit que les frontières peuvent être changées par la force, en dépit du droit africain et international qui a confirme é l’importance de la préservation de ces frontières. Le nouveau droit international privilégiera-t-il la loi du plus fort? Malgré la propagande omniprésente à propos des crimes de guerre, très peu de choses sont dites à propos du crime de planification ou de conduite de guerres d’agressions définies par la jurisprudence de Nuremberg. La recherche et l’inculpation des criminels de guerre est un sujet devenu banal dans les media: «plus jamais cela» dit-on. On se réfère à Nuremberg mais presque plus personne ne parle du plus grand crime défini par Nuremberg: celui de la planification d’une guerre d’agression telle qu’elle a été entreprise d’abord contre le Rwanda, ensuite contre le Zaïre. On se limite aux crimes qui relèvent du droit humanitaire international relatif à la conduite de la guerre. Le droit international humanitaire fait l’autruche face au crime de planification et d’engagement de la guerre.
Les organismes internationaux non gouvernementaux ont activement soutenu l’invasion militaire du FPR d’abord contre le Rwanda, ensuite contre le Zaïre, au nom des droits de l’homme et de la démocratie. Au lieu de cela, après la violence horrible interethnique d’avril à Juillet 1994, on a eu plus de guerre, plus de dictature militaire par la minorité Tutsi, des camps de concentration pour la population Hutu au Rwanda et au Burundi, et les massacres ethniques pour des centaines de milliers de Hutu.
Nous assistons à une mise au rancart du principe fondamental du droit à la paix et à l’autodétermination, du droit à la vie, paradoxalement au nom des droits de l’homme et de la démocratie tels que conçus par les démocraties puissances occidentales, l’imposition de régimes pro-américains et un dramatique renversement du processus de décolonisation des années 50 et 60. Le Zaïre a repris son nom colonial, le Congo, et l’on pourrait s’attendre que les grandes villes de l’Est reprendront-elles leurs anciens noms comme Elizabethville, Stanleyville? Le droit à l’autodétermination, fondement des droits de l’homme tels que décrits dans l’article 1 des deux pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits sociaux, économiques et culturels, a été ignoré. Il a été supplanté par une nouvelle droit de facto d’interventionnisme accordé aux grandes puissances avec le soutien actif des organismes non gouvernementaux, la plupart des organismes des droits de l’homme, et de l’ONU à Genève et partout dans le monde.
Le droit relatif aux réfugiés et la faillite morale du Haut Commissariat aux Réfugiés
Le non respect du droit international est flagrant dans le traitement du problème des réfugiés: avec la complicité du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), qui a le devoir primordial de les protéger, des troupes armées ont attaqué les réfugies qui avaient fui ces mêmes troupes. Le H.C.R. a rapatrié illégalement des réfugiés Hutu contre leur gré et les a laissés à la merci des gouvernements du Rwanda et du Burundi dominés par les Tutsi. En fin 1996, le H.C.R. et le FPR ont demandé conjointement au Gouvernement de la Tanzanie d’expulser des centaines de milliers de Hutu par force. Ceci fut fait. En septembre 1995, le H.C.R. avait suggéré un rapatriement forcé de tous les réfugiés. En novembre 1996, le plus grand camp de réfugiés du monde dans l’Est du Zaïre a été bombardé à l’artillerie lourde par les armées du Rwanda et de l’Ouganda. La communauté internationale et le H.C.R. ont abandonné les réfugiés aux armées qui les attaquaient. Amnistie Internationale figure parmi les rares organisations internationales à condamner ces mauvais traitements envers les réfugiés. Quelques 500.000 réfugiés sont retournés au Rwanda. Après avoir été triés des jeunes gens comme tant d’autres réfugiés ont été tués ou emprisonnés. La plupart des réfugiés ont fui à travers l’Est du Zaïre, dans les endroits de la jungle les plus inhospitaliers du monde. Selon le Président Yoweri Museveni, dont les propos ont été rapportés par Africa International en février 1997, il fallait les détruire — «Destroy them» disait-il. Ce n’était déjà pas assez qu’ils soient chassés du bord des frontières. Des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont été affamés ou tués par les moyens d’extermination que le FPR avait déjà utilisés lors de l’invasion du Rwanda quelques années plus tôt. Les médias internationaux étaient bannis de cet espace géographique.
Selon plusieurs sources, le moyen le plus fréquemment utilisé par le H.C.R. dans l’Est du Zaïre était celui-ci: Les réfugiés fuyards étaient regroupés, ensuite l’armée dirigée par des le FPR Rwandais attaquait et les massacrait. Dans l’esprit du droit concernant les réfugiés et du rôle dévolu au Haut Commissariat aux Réfugiés, il est impératif de souligner les points suivants:.
1. Le H.C.R. n’a pas protégé les réfugiés. Il a adopté et véhiculé la propagande du FPR selon laquelle les réfugiés étaient les otages des l’exanciennes Forces armées rwandaises et des milices Hutu. La population Hutu entière en exil était présumée génocidaire, et le massacre des milliers de Hutu était considéré comme relevant d’actes isolés de quelques membres d’une armée généralement disciplinée et moralisée.
2. Le H.C.R. a participé au rapatriement forcé des réfugiés Hutu contre leur gré.
3. Actuellement le H.C.R. a décidé de « protéger » les réfugiés forcés à retourner au Rwanda et, comme on le sait, il aide le FPR à trier les « génocidaires » parmi les arrivants. Ceci ne fait aucunement partie du mandat du H.C.R. Même si certains des employés du H.C.R. étaient de bonne foi, le H.C.R. s’est appliqué d’accomplir le programme conjoint conçu par les États Unis, l’Ouganda et le FPR: – le retour forcé des réfugiées Hutu. Le rôle de protecteur du H.C.R. a été diverti en son contraire. Le H.C.R. s’est transformé en agent du FPR dans la persécution de la majorité Hutu. Ces activités ainsi que la politisation du H.C.R. au bénéfice du vainqueur constituent un mauvais précédent qui ne présage rien de bon pour les réfugiés dans les conflits à venir.
Le problème de l’impunité au Rwanda: le détournement de la vérité et de la justice
Les massacres impunis de milliers de gens au Chili, en Amérique Centrale, en Uruguay, à Haïti, au Panama, en Afrique du Sud, en Argentine et partout ailleurs pendant les guerres de libération des années 60, 70 et 80, hypothèquent en permanence l’histoire de ces pays et constituent un lourd handicap à l’avènement d’une justice sociale, d’une réelle indépendance et de la démocratie. Le fait de ne pas punir les meurtriers et les tortionnaires, tous alliés des États Unis, constitue une barrière à quiconque veut continuer le combat de ces dernières décennies. Pis encore, les meurtriers impunis sont des membres respectés, et des acteurs importants des nouvelles démocraties. Le combat contre l’impunité est noble et le seul qui mérite d’être poursuivi, mais il a été détourné, volé, transformé en son contraire dans la crise des Grands-Lacs. Au nom de la lutte contre la culture de l’impunité, les vaincus côté perdant de la guerre au Rwanda ont été soumis à l’arbitraire et aux procédures injustifiées. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a été mis en place par le Conseil de Sécurité en Novembre 1994 pour juger les auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis pendant l’année 1994. Contrairement au Tribunal de Nuremberg, le statut du TPIR ne considère pas le crime de planification de la guerre. Ce statut a été imposé illégalement par une résolution du Conseil de Sécurité au lieu d’être voté par l’Assemblée générale ou être négocié par traité. En droit international, la compétence des tribunaux relève des traités.
La Cour, à plusieurs égards, est soumise aux bonnes volontés du Gouvernement FPR. En juin 1997, le Greffier et les Procureurs ont fait le voyage, du siège d’Arusha en Tanzanie, à Kigali au Rwanda, pour rencontrer les officiels du pouvoir dictatorial rwandais dominé par les Tutsi qui se plaignaient du retard des procédures du Tribunal. Le parquet est basé à Kigali. Même si le rapport Gersony en septembre 1994 a dénoncé le massacre de plus de 30.000 Hutu par le FPR depuis 1994, il est certain que personne des envahisseurs FPR ne sera poursuivi par ce Tribunal privé de toute indépendance. Sous ce son statut, la Cour n’a aucune compétence pour traduire en justice les auteurs des massacres de milliers de Hutu rapportés par le Premier Ministre Twagiramungu ou le Ministre de l’Intérieur Seth Sendashonga après leur limogeage en septembre 1995.
Dans les pays aux alentours du Rwanda, des personnes sont enlevées et envoyées à Arusha en Tanzanie où se trouve le Tribunal. Le procédé ressemble à celui qui a été utilisé par les États Unis pour l’enlèvement et l’inculpation du Général Panaméen Manuel Noriega ou du Docteur Mexicain Alvaro Machain – sans extradition, sans comparution devant les Tribunaux du pays d’origine. Certains des prévenus sont inculpés, d’autres sont détenus sur simple suspicion. Les frontières disparaissent à nouveau. Lors de leur arrestation, les détenus sont privés du droit de consulter un avocat, dans le but de leur extorquer des aveux. Cette procédure est conduite par d’anciens avocats de la défense, canadiens qui se prennent pour des superflics du Conseil de Sécurité. Très récemment, quelqu’un a été arrêté par erreur au Kenya et extradé à Arusha.
Au Rwanda même les cours criminelles sont des plus inquiétantes. Environ 120.000 prisonniers dont des enfants accusés de «génocide» sont détenus, mais seulement 10% ont des dossiers en bonne et due forme. Sous la nouvelle « loi du génocide », inspirée par des juristes canadiens et la législation anti-terroriste de Fujimori, les détenus ne peuvent pas avoir de recours contre la prolongation de leur détention. Cette loi prévoit la réduction de la peine de mort à la prison ferme en cas d’aveux accompagnés d’informations utiles à propos des complices. Le Gouvernement rwandais et les avocats de l’ONG belge « Avocats sans Frontières » ont demandé aux autres avocats étrangers de venir en aide pour assurer une défense collective en vue d’obtenir des aveux de beaucoup plus d’accusés. Ce procédé ne ressemble en rien au système canadien de « plea bargaining » où les accusés plaident coupable aux accusations moindre selon la preuve disponible.
Les procès de Hutu accusés se passeront devant des juges issus de la minorité Tutsi qui auront reçu une formation de quatre mois organisée par le Canada. Il n’y a presque pas d’avocats et les dossiers d’accusation ne sont accessibles qu’un jour à l’avance. Plusieurs procès durent quelques heures à peine suivant les éléments disponibles dans le dossier et aboutissent généralement à la peine de mort. Les procès, diffusés à la radio, se passent dans une atmosphère d’hystérie. Ces lynchages légaux ont été avalisés par le Comité des Droits de l’homme de l’ONU qui s’est félicité des progrès enregistrés par le Rwanda en matière des Droits de l’homme. Amnistie Internationale est l’une des rares organisations internationales à désapprouver ces procès dans son rapport du 8 avril 1997 « Unfair Trials: – Justice Denied ». A côté de ce traitement peines injustes pour le Hutu vaincus, il règne une impunité terrifiante en faveur des gagnants du conflit. Dans les endroits perdus de l’Est du Zaïre, plusieurs centaines de milliers de Hutu ont été massacrés par les armées ougandaise et rwandaise, soutenues des États-Unis. Et que dire des exécutions. Cela dit sans prendre en considération les lynchages de de la population locale par les mêmes armées. L’exécution systématique des chefs de l’église catholique comme l’Archevêque de Bukavu Christophe MUNZIHIRWA rappelle les méthodes des escadrons de la mort salvadoriens qui ont supprimé la voix discordante, l’homme du peuple, l’Archevêque Romero en septembre 1980. Christophe Munzihirwa contestait à haute voix les exactions des armées Tutsi dans la région envers les réfugiés Hutu. Et malgré tout, personne n’est accusé du crime suprême d’organisation d’une guerre d’agression, alors qu’en six ans, on compte deux grandes invasions: celle du Rwanda en 1990 et celle du Zaïre en 1996.
Le règne de l’impunité pèse sur le Burundi où la minorité Tutsi tient le pouvoir depuis l’indépendance, à l’exception d’une brève période de 1993 à 1996, au cours de laquelle, deux présidents Hutu ont été assassinés et le troisième déposé par un coup d’État militaire. La capitale Bujumbura a été l’objet d’un nettoyage ethnique, tous les Hutu y ont été chassés et placés dans des camps de concentration – à l’exemple des villages modèles du Guatemala. Personne n’a été poursuivi ni pour le massacre de 300.000 Hutu en 1972, ni pour les massacres fréquents depuis 1993, de Hutu, hommes, femmes et enfants, par l’armée Tutsi.
La récupération du slogan de la lutte contre l’impunité pour justifier la guerre et l’hégémonie Tutsi appuyée par les États Unis n’est rien d’autre que la démagogie au nom des droits de l’homme. Derrière le vernis de respectabilité associée à la lutte contre l’impunité, nous revoyons encore une fois l’histoire des trente dernières années: l’impunité est un droit réservé aux tout-puissants alliés des États-Unis tandis que le châtiment est exclusivement infligé aux populations piétinées sur le chemin de l’hégémonie appuyée par les Occidentaux. Il est désolant de voir que cette opinion emporte des soutiens opportunistes parfois candides tandis que le discours des droits de l’homme devient un frein à la recherche de la vérité et de la justice. Quelle est donc la prochaine cible de cet Establishment des droits de l’homme?
Conséquences
L’historien journaliste africain Atsutse Kokouvi Agboli écrit dans Africa International en mai 1997: – « ces changements n’ont rien à voir avec les aspirations des peuples de la région à la liberté, la démocratie, l’indépendance et l’industrialisation locale. Cette guerre est dirigée contre les nationalistes africains authentiques ». Rien ne peut être plus vrai.
Les principes et les problèmes soulevés dans cet article sont au coeur des préoccupations de l’AAJ – ils sont notre raison d’être. En Amérique en 1997, 100 ans après la guerre hispano-américaine, nous constatons des similarités profondes avec l’ère du « grand bâton » du « big stick ». Cuba est confrontée à l’interventionnisme prônée par la législation Helms-Burton donnant aux États-Unis carte blanche pour étrangler le Cuba et imposer une forme de gouvernement à sa solde. En 1996, le Gouvernement cubain a mis en garde sa population contre le risque de l’infiltration des ONG’s en vue de briser la résistance cubaine au blocus et l’exercice de son droit d’autodétermination. Les États-Unis sont entrain de renforcer leur emprise sur Porto Rico. Les États Unis se réservent le droit de certifier ou décertifier un pays selon sa collaboration du gouvernement avec la police américaine anti-drogue. Haïti est encore sous occupation militaire sous prétexte de ramener le pays à la démocratie et à la justice: – pourtant les Nations Unies ne disent rien quant au vol des biens nationaux haïtiens. Le Pérou avec l’aide du Canada et des États-Unis a résolu de façon militaire et unilatérale la crise des otages. Les institutions de Bretton Woods continuent d’imposer de rudes épreuves aux populations (latino) américaines. L’enjeu c’est le droit des peuples de la région à entreprendre les changements requis pour permettre l’avènement de la démocratie, d’une indépendance réelle et d’une justice économique et sociale. En Afrique Centrale, l’histoire a reculé d’environ quarante ans. Nous assistons à une recolonisation de l’Afrique. Les États-Unis ont créé un nouvel Israël à travers les régimes à prédominance Tutsi en Ouganda, au Rwanda et au Burundi. Loin de s’arrêter, la guerre continuera jusqu’à ce que le pouvoir revienne à la majorité Hutu bantou dans la région.
Il est naïf de penser que le seul fait de parler des violations du droit international va changer quelque chose à la situation. Le mal est fait et il reste plusieurs combats à mener. Nous avons toutefois un rôle à jouer. Dans ces dernières années, les soi-disant experts des droits de l’homme ont occupé l’espace idéologique vacant et ont prodigué des soutiens moraux et idéologiques à la guerre de colonisation de l’Afrique Centrale au grand bénéfice des États-Unis, de la Grande Bretagne et du Canada. Qu’en est-il advenu du droit international? L’ingérence humanitaire semble devenir la première justification idéologique pour une intervention coloniale. La propagande des droits de l’homme constitue un obstacle au droit à l’autodétermination alors que le fondement de tous les droits de l’homme est l’exercice de cette autodétermination. Quant aux organes des Nations Unies à Genève et à New York en temps de crise, il n’y a jamais de position de principe pour la défense du droit fondamental à l’autodétermination. Il y a un consensus en faveur de l’interventionnisme institutionnel ou militaire basé sur des appréciations des autorités sacrées des Nations Unies déconnectées de la réalité. Et comme par coïncidence, l’emprise directe ou indirecte des États-Unis en sort, à chaque fois, renforcée ou accrue.
Les institutions des droits de l’homme, aux États-Unis, au Canada et en Europe, sont très bien financées. Les départements qui s’occupent des droits de l’homme sont devenus des acteurs majeurs en politique étrangère et affaires extérieures. « Qui paye les violons exige la partition »?.(He who pays the piper calls the tune) Beaucoup d’experts bien payés font un habillage de la politique étrangère de leurs pays et celle des Nations Unies sous la bénédiction du discours des droits de l’homme. Ils deviennent ainsi une autorité morale intouchable. L’analyse de certains des rapports les plus sensationnels révèle le manque de sérieux dans leurs enquêtes. Le milieu des experts des droits de l’homme est devenu un lieu de pouvoir, de clientélisme et de trafic d’influence.
La politique étrangère du Canada est exercée ouvertement à travers les organismes non gouvernementaux canadiens. Dans les trois années 1995-1996, le Canada a dépensé 127 millions de dollars: – 60 millions pour l’aide bilatérale à travers les ONG’s comme l’ACCT, CECI, Oxfam Québec, Paix et Développement, et 67 millions pour l’aide multilatérale à la région, 30% ont été dépensés à travers les ONG’s et l’équivalent à travers les agences des Nations Unies comme le H.C.R. et le Programme Alimentaire Mondial. En décembre 1996, le Ministre Doug Young a déclaré que la politique étrangère canadienne changerait après le retour des 500.000 réfugiés au Rwanda. Au lieu de financer une intervention militaire dans la région, le Canada travaillerait à travers les ONG’s. Les organisations non gouvernementales ne méritent-elles pas d’être appelés plutôt « organisations gouvernementales »? La collaboration de quelques ONG’s avec les militaires pose de plus en plus de problèmes. Le Général Canadien Guy Tousignant de la mission militaire l’ONU au Rwanda se trouve aujourd’hui à la tête d’une agence canadienne non gouvernementale Care Canada. Les Universités canadiennes se trouvent impliquées honteusement dans l’exportation de son « Rule of Law » pour inculquer aux « autochtones indigènes » nos us et coutumes. Le combat pour la vérité, l’indépendance et l’égalité souveraine se heurtera nécessairement à cette institution impériale des droits de l’Homme du 21ième siècle.
Il existe un courant de pensée extrêmement dangereux dans les cercles soi-disant progressistes du Nord de l’Amérique et des États-Unis. Selon eux, le monde a changé, l’interventionnisme n’est plus un problème fondamental qui affecte toute relation de pouvoir. Le combat contre l’ingérence des grandes puissances n’est plus une priorité majeure. Au mieux cela est une réflexion béate, au pire il s’agit d’une malhonnêteté flagrante. Les gouvernements qui ont incendié au napalm et massacré des populations du Tiers Monde ont-ils soudainement changé d’attitude? S’intéressent-ils aux droits de ces peuples? Ou s’agit-il simplement d’une nouvelle méthode pour pouvoir les contrôler? Ce courant de pensée est prédominant dans les milieux académiques, aux Nations Unies, dans les milieux de la justice et des ONGs.
L’AAJ a une longue histoire depuis sa fondation au Panama en 1975. Notre mémoire collective, notre rigueur, notre flexibilité, notre compétence et notre intégrité ainsi que notre solidarité nous donnent les moyens d’affronter cette crise morale et intellectuelle. Nous ne devons pas rester immobiles face au rejet de nos principes et leur utilisation comme des instruments de l’oppression et de la recolonisation des pays en voie de développement. Soit nous sommes la cause du problème, soit nous aidons à la recherche de la solution. Nous devrions être capables de regarder le monde plus du point de vue des Irakiens, des Palestiniens, des Somali, des Haïtiens, des Cubains et des peuples bantou d’Afrique Centrale que de celui des bureaux des Nations Unies et des institutions des droits de l’homme à Genève, à New York ou n’importe où dans le monde. Nous devrons nous inspirer de la pensée anticolonialiste et libératrice de Frantz Fanon et non de l’idéologie de soumission et de faiblesse promue par notre bien payé professorat des droits de l’homme. Notre tolérance, notre capacité d’échanger des idées devrait nous permettre d’avancer et d’affronter les formidables défis intellectuels, juridiques et politiques du siècle prochain.
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