« Les services Belges ont été informés de l’existence d’escadrons de la mort rwandais en Europe », cette phrase prononcée par le chef des services de renseignements belges en juin 2018 a été le déclencheur d’une vaste enquête de la rédaction de Jambonews. Pendant près d’un an, de Bruxelles à Kigali en passant par Paris, nous nous sommes intéressés aux réseaux de renseignements et de sécurité rwandais en Europe que les autorités belges désignent comme des « escadrons de la mort ». Nous avons eu l’occasion de rencontrer une dizaine d’individus impliqués directement ou indirectement dans ces réseaux de renseignement rwandais opaques. Ils ont accepté de nous parler et nous raconter les tenants et les aboutissants des activités obscures menées sous la coordination de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. Leur anonymat a été préservé pour des raisons de sécurité*.
En 2014, sous l’impulsion des autorités politiques et militaires de Kigali, les services de renseignements ont instruit à l’ambassade du Rwanda à Bruxelles de mettre en place un réseau de sécurité et de renseignement en Belgique. Ce projet est nommé « Intervention Group ». Tout au long de l’année, l’Ambassadeur du Rwanda à Bruxelles de l’époque, Robert Masozera a tenu plusieurs réunions au cours desquelles les contours, le fonctionnement et les objectifs de cette « Intervention group » ont été dessinés. A l’initiative, le général-major Jack Nziza a confié ce projet au lieutenant-colonel Franco Rutagengwa et au brigadier-général Francis Mutiganda. Le premier était le chef de la Directorate Military Inteligence (entité devenue Defense Intelligence Department) et le second était responsable des renseignements extérieurs au sein de la National Inteligence Security Services, les deux hommes ont pris en main le projet.
L’ « Intervention group » a vu le jour au courant de l’année 2014 sous la forme d’un service de sécurité et de renseignement officieux pour le compte des autorités rwandaises en Europe. Il a pour vocation d’être déployable sur l’ensemble des états d’Europe occidentale. Il a un quintuple objectif :
– Déstabiliser les activités, actions et projets de l’opposition politique ;
– Mener des activités de renseignement au sein de la communauté rwandaise en Europe ;
– Mener des activités de renseignement auprès des personalités ainsi qu’au sein des institutions et organisations politiques locales et internationales présentes en Belgique (pouvant avoir un intérêt stratégique pour le Rwanda)
– Protéger les membres de la diaspora qui soutiennent le pouvoir du FPR ;
– Assurer la protection des personnalités et surtout celle du Président rwandais Paul Kagame lors de ses déplacements en Europe.
Fin 2014, une dizaine d’individus soigneusement triés ont été envoyés au Rwanda afin d’y suivre une formation idéologique, militaire et en matière de renseignement assez poussée. Parmi eux, on retrouvait Victor Kayumba, Abou Uwase, Gustave Mukunde, Claude Birasa, Claude Muvunyi, Olivier Jyambere, Lewis Murahoneza, Florent Kamanzi ou encore Octave Nyangabo. C’est autour de cette petite dizaine que s’est formé l’ossature de l’« Intervention group ». De retour en Belgique, ces individus se sont structurés petit à petit.
Le groupe est organisé en 3 cellules : Une cellule Mobilisation, une cellule Finance et une cellule Appui qui a en charge toute l’organisation logistique. Le groupe d’intervention a à sa tête Victor Kayumba. A la coordination générale on retrouve un duo : Gustave Ntwaramuheto et Eulade Bwitare. Le premier est Chargé d’affaires à l’ambassade du Rwanda de Bruxelles. Le second est un ancien Capitaine au sein du FPR-APR, démobilisé en 2003, il avait été nommé conseiller à l’ambassade rwandaise à Bruxelles au lendemain de la prise de pouvoir du FPR. Il est resté très influent au sein du parti au pouvoir, c’est un proche de Jack Nziza et il est respecté par les durs du régime. Il se présente aujourd’hui comme « consultant » pour l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. C’est un fin connaisseurs des arcanes belges, où il vit depuis plusieurs années, on le décrit comme « un stratège calme et sage mais capable des pires cruautés ».
Les critères de recrutement sont diversifiés, selon Jean*, un des membres qui a rejoint le groupe en 2014, « la majorité a été approchée parce qu’ils partagent la même idéologie de soutien au FPR et à Kagame, mais beaucoup sont attirés par l’attrait financier, les voyages et le statut social que procurent le fait de travailler dans un groupe qui a parfois la charge de la protection du Président ». Mais d’autres rejoignent le groupe pour des raisons plus obscures : « Certains se vantent publiquement d’avoir eu la promesse que les poursuites judiciaires dont ils font l’objet pour leur participation présumée au génocide perpétré contre les Tutsi seront levés. Ils se targuent d’être intouchables par la justice belge car l’ambassade leur a promis de les protéger coute que coute ».
Le groupe est piloté et reçoit ses instructions directement des durs du régime. A l’origine, parmi les principaux parrains, on retrouvait le major-général Jack Nziza, ex-Inspecteur général des Forces de défense rwandaises, le brigadier-général Dan Muyunza, Inspecteur général de la Police rwandaise, le lieutenant-général Karenzi Karake, ex-conseiller en matière de défense du Président Kagame, le major-général Joseph Nzabamwita, actuel chef des Services Nationaux de Renseignement et de Sécurité (NISS), ou encore le brigadier-général John Gashayija, ex-commandant de la Reserve Force dans la région du Sud. Depuis quelques années le lieutenant-colonel Ruki Karusisi, ex-chef des opérations au sein de la Republican Guard et récemment promu chef adjoint des forces d’opération spéciales, prend lui aussi de plus en plus de place dans le pilotage de l’« Intervention group ».
Selon Jean*, il arrive même que certains des durs du régime, malgré les mandats d’arrêt internationaux sur le dos de certains émis par la justice espagnole pour génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerres et terrorismefassent le voyage en Belgique. « Parfois certains d’entre eux se déplacent et viennent en Belgique pour des missions bien spéciales mais le plus souvent c’est Didier Rugina qui fait les allers-retours. C’est lui qui fait le messager quand c’est vraiment nécessaire. » Didier Rugina a fait toute sa carrière dans les renseignements rwandais, il est actuellement en charge du desk Europe au sein de la NISS.
L’ambassade du Rwanda à Bruxelles : épicentre de « l’Intervention group »
L’ « Intervention Group » compte en son sein plusieurs membres travaillant directement en tant que salariés de l’Ambassade tels que Gustave Mukunde, arrêté par la police britannique à Londres en possession d’une arme blanche à proximité d’opposants politiques en 2014, ou Claude Birasa, instigateur de l’agression menée contre le journaliste Peter Verlinden et des membres de Jambo ASBL à Amsterdam en octobre 2015.
L’ «Intervention Group» est directement piloté depuis l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles par Gustave Ntwaramuheto. Originaire de l’ancienne préfecture de Gitarama, il pilote l’ « Intervention group » depuis 2015 date à laquelle il a été nommé 1erconseiller de l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles. Il remplaçait officieusement Joseph Uwamungu qui était anciennement en charge de tout le volet renseignement et sécurité au sein de la représentation rwandaise en Belgique.
Très discret on ne le voit que très peu dans les sorties mondaines de la capitale bruxelloise. « Parfois, il passe en coup de vent au bar Chez Maria, au bar Umbrella ou dans les pubsavec Jean-Bosco Ntibitura pour regarder un match de foot » poursuit Jean*. Gustave Ntwaramuheto semble constamment à la tâche, « si vous le cherchez, vous le trouverez souvent du côté du boulevard Saint-Michel au bar The Open où il a ses rendez-vous professionnels ». « L’Ambassadeur », comme Gustave, se fait appeler par le personnel de The Open, y dispose même de sa table à l’abri des regards indiscrets. « Il travaille beaucoup, il est constamment en train de développer son réseau, je dirais que sa seule distraction c’est ses nombreuses conquêtes féminines » conclut Jean*.
Gustave Ntwaramuheto est proche de Louise Mushikiwabo, actuelle Secrétaire générale de l’Organisation International de la Francophonie et ancienne toute puissante Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, il a récemment été promu au rang de Chargé d’affaires à l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles.
Les piliers du réseau
En peu de temps Gustave Ntwaramuheto a réussi à se créer un réseau d’informateurs sur lesquels il fonde ses actions. On peut citer Honorine Uwamurera, divorcée d’un ancien officier de l’armée belge, c’est l’un des piliers de son réseau, elle lui est très utile pour ses connaissances approfondies du tissus sociétal rwandais. « Même si Gustave est très dynamique, il a une certaine méconnaissance historique et sociétale de la communauté rwandaise. Il s’appuie beaucoup sur Honorine pour toutes ses zones d’ombres » nous confie Pascal*, un proche de Gustave Ntwaramuheto. Un autre pilier du système de renseignement mis en place par le chargé d’affaires de l’ambassade du Rwanda est Patrick Bwito. Ce collaborateur de Rwandair a réussi à s’infiltrer au plus près des services de l’aéroport de Zaventem. Cela permet à Gustave Ntwaramuheto de récupérer des listes de passagers et ainsi contrôler les allées et venues des ressortissants rwandais à partir de Bruxelles. Gustave Ntwaramuheto, n’hésite pas non plus à utiliser des « muzungu » (blanc en Kinyarwanda) pour des missions spéciales. Par exemple : « Jean-François Cahey, un proche d’Eulade Bwitare, qui a épousé une rwandaise très active dans la diaspora qui s’appelle Nadia Kabalira, est régulièrement utilisé pour approcher les blancs ou pour toute mission qui nécessite une personne non-typée rwandaise » nous confie Marie*, proche du couple Cahey-Kabalira. Lors d’une manifestation de l’opposition rwandaise en mai 2017, Jean-François Cahey avait ainsi été envoyé au sein de la foule pour ramener des photographies des manifestants présents. « Quand nous lui avons demandé qui il était et pourquoi il faisait des photos portraits des personnes présentes, il nous a dit en balbutiant qu’il était journaliste chez Belga et qu’il avait oublié sa carte de presse » témoigne l’un des organisateurs de la manifestation.
Les activités obscures de l’Ambassade et de l’« Intervention group » demandent pas mal de moyens financiers. Afin de contourner les voies traditionnelles de transfert d’argent, « l’Intervention Group » fait appel à Rwanda cash. C’est une association sans but lucratif qui propose des services de paiement et de transfert d’argent entre le Rwanda et la Belgique. En 2013, L’Autorité belge des services et marchés financiers (FSMA) avait mis le public en garde contre les activités de Rwanda Cash asbl en enjoignant les usagers à ne pas « donner suite aux offres de services financiers émanant de Rwanda Cash asbl » en raison du non-respect de la réglementation en vigueur[1]. Malgré le fonctionnement opaque et peu transparent, Rwanda Cash a poursuivi ses activités sous la direction de Ramadhani Nsengiyunva et Selemani Niyitegeka, l’asbl a ainsi continué à œuvrer pour le compte de l’ambassade du Rwanda et donc de l’ « Intervention group ».
Lobbying ou trafic d’influence ?
La ligne entre un lobbying légal pratiqué par tous les états et le trafic d’influence semble être devenue inexistante quand il s’agit des activités coordonnées par l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. L’utilisation de femmes pour approcher des hauts fonctionnaires et des hauts responsables politiques et économiques belges est une pratiquante courante. Marie*, qui a été approchée par un membre de l’ « Intervention group » pour une mission bien spéciale nous apprend que Gustave Ntwaramuheto dispose « d’une liste de jeunes femmes qui sont prêtes à se donner à qui que ce soit si il leur demande ». Un ancien Collaborateur du sénateur belge Alain Destexhe, soutient de longue date du régime de Paul Kagame, nous a confié qu’il a « longtemps pensé que la proximité d’Alain avec les femmes rwandaises était juste un péché mignon avant qu’une d’elles n’avoue que si elle n’avait pas été payée elle ne serait pas là avec un vieux comme Desthexe ». Diane*, proche de Gustave Ntwaramuheto, nous a confié que « lors des événements officiels, Gustave observe constamment les hommes qui ne sont pas insensibles aux atouts physiques des femmes rwandaises. Quand il en voit un qui a régulièrement les yeux baladeurs, la fois suivante, il fera assoir une belle jeune rwandaise qui sait s’y faire à coté de lui. ». Avant de conclure : « Regardez les placements des personnalités lors du dernier Rwanda day à Gand et vous comprendrez.»
L’ambassade n’hésite pas à recourir à des moyens litigieux pour atteindre ses objectifs. Un des traducteurs au service du secrétariat général des ACP (Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) nous a raconté une histoire survenue en 2018 au plus haut de la crise diplomatique entre le Rwanda et le Burundi: « Avant chaque événement officiel les orateurs nous fournissent leurs discours afin que nous puissions préparer à l’avance la traduction. Les services rwandais ont reussi à se procurer curieusement le discours du representant burundais auprès d’un de mes collègues. Ils ont alors réussi à changer l’ordre des discours afin que le chargé d’affaires rwandais puisse s’exprimer avant le Burundais. Ainsi le diplomate rwandais a démonté un à un les arguments que la délégation burundaise prévoyait d’exposer dans leur discours qui devait suivre. L’ambassadeur burundais a paru ridicule aux yeux de tous ceux qui étaient présents». Les ACP semblent d’ailleurs avoir beaucoup d’intérêt pour l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. Le piratage informatique est une autre arme utilisée par l’ambassade. Selon Pascal*,« Gustave s’était donné l’objectif de pirater les services informatiques du secrétariat général des ACP, je ne sais pas vraiment ce qui l’y intéressait mais je crois savoir qu’il y est parvenu ».
Gustave Ntwaramuheto s’est construit un réseau d’informateurs et de relais dans les différentes institutions internationales présentes en Belgique mais aussi dans les différents ministères et organisations locales belges. Jean* nous a raconté le schéma d’approche mis en place : « Quand nous avons besoin d’une information particulière, on sait où aller la chercher. Dès qu’un Rwandais occupe un poste potentiellement intéressant dans une organisation ciblée, on l’approche subtilement. Parfois la séduction idéologique suffit. Quand la personne est plus coriace, Gustave sait activer différents leviers pour qu’il penche de notre côté. Généralement l’attrait financier est suffisant mais d’autres fois, il recourt au chantage : menace de ne plus fournir de visas, mise en difficulté sur des biens immobiliers et des investissements commerciaux au Rwanda, pression sur un dossier judiciaire,… Tout est bon pour que cette personne puisse être utilisée. On a des gens bien en poste qui nous remontent toute information utile. Ils peuvent également rendre de petits services. Un exemple concret : Il arrive que des gens comme Gaston B. ou Chico N., qui bossent dans des CPAS à Bruxelles, bloquent les dossiers de personnes qui nous dérangent ou fassent passer les dossiers de gars à nous ».
Dans ce dispositif global, l’Ambassadeur Amandin Rugira n’a que très peu d’influence. Sur un ton sarcastique, Pascal* nous a confié « Il n’est pas vraiment respecté et il n’est jamais mis au courant des actions menées. Entre nous, on l’appelle le « singe » mais il accepte cela très bien. » . Il semble néanmoins qu’il ait un peu plus d’influence que son prédécesseur Olivier Nduhungirehe qui « Lui était absolument méprisé de tous». Pour Jean*, l’Amb. Amandin Rugira a néanmoins un peu plus de poigne que son prédécesseur comme quand : « il a tapé du poing sur la table pour le manque de discipline au sein du groupe et contre ceux comme Claude Birasa qui se servent régulièrement dans la caisse de l’Ambassade. » Ces problèmes de discipline ont d’ailleurs conduit Gustave Ntwaramuheto et Vicky Kayumba à décider du renouvèlement d’une grande partie des effectifs du groupe d’ici la fin de l’année 2019 « pour faire rentrer du sang frais » poursuit Jean*.
Des « escadrons de la mort » rwandais en Europe
En juin 2018, Guy Rapaille, l’emblématique et ancien chef du Comité R, organe supervisant tous les services de renseignements comme la sûreté de l’État et son homologue militaire, le SGRS (Service général du renseignement et de la sécurité), a lâché une véritable bombe qui est passée inaperçue à l’époque. Dans une interview accordée au journal Le Soir et au magazine Knack, il révèle que les services Belges « ont été informés de l’existence d’escadron de la mort rwandais en Europe ». Pointant du doigt les services rwandais, Guy Rapaille avait déploré leurs activités illégales en Belgique : « le principe est simple : quand des services secrets étrangers déploient des opérations ici, ils sont censés informer les services belges. Cela se passe bien avec la plupart des pays mais il y a des services étrangers qui ne travaillent pas comme ça ». La situation semble tellement préoccupante, qu’encore hier, le 17 juin 2019, Paul Van de Voorde, le nouveau patron de la SGRS a placé le Rwanda aux côtés de la Chine et de la Russie « dans le top des priorités du renseignement militaire belge ».[2]
En août 2015, le média flamand Het Belang van Limburg a révélé que le régime au pouvoir au Rwanda tenterait d’éliminer des dissidents et des opposants en Belgique. Kigali utiliserait pour cela des commandos performants envoyés en Belgique. Révélant au passage que la Sûreté de l’Etat aurait déjà dû fournir sa protection à plusieurs personnes. Le média a révélé notamment le cas d’une journaliste canadienne, Judi Rever, auteur d’articles critiques à l’égard du régime du président rwandais Paul Kagame qui avait dû lors d’une visite de travail d’une semaine en Belgique, se déplacer en Mercedes blindée accompagnée de deux agents de la Sûreté. La journaliste canadienne avait ainsi confié qu’un agent fédéral l’avaitinformé du fait que : « la Belgique avait de sérieuses informations selon lesquelles l’ambassade rwandaise à Bruxelles constituait une menace pour moi ».
Un autre cas est celui de Serge Ndayizeye, coordinateur et journaliste de la Radio Itahuka, média en ligne appartenant au Rwanda National Congress (RNC), parti politique rwandais d’opposition en exil. Cette radio, très critique envers le régime rwandais, est dans le viseur des autorités rwandaises qui ont à plusieurs reprises réclamé sa fermeture par les autorités américaines. En juin 2017, Serge Ndayizeye résidant aux États-Unis, avait exceptionnellement fait le déplacement en Belgique afin de couvrir la visite de Paul Kagame à Bruxelles. Sous la coordination de Gustave Ntwaramuheto et d’un officier de la NISS du nom de Rwahama, une équipe a été constituée afin « d’éliminer » Serge Ndayizeye durant son séjour bruxellois. Cette équipe était composée de membre de la Republican Guard et soutenue logistiquement par « l’Intervention group ». « Nous savions que Serge se rendait souvent chez une proche d’une certaine Marie-Rose Nkezabera. Nous savions qu’il dormait même parfois chez cette proche de Marie-Rose. Nous avions alors demandé à Marie-Rose de s’informer discrètement et à l’insu du logeur à propos des dates et heures où il s’y rendrait. Nous devions l’y appréhender et faire croire à un meurtre pour un règlement de compte» nous a confié Jean*, un membre du groupe.
Heureusement, Serge Ndayizeye, en a été informé: « une équipe de la police fédérale belge s’est lancée à ma recherche pendant plusieurs jours. Quand ils m’ont retrouvé, ils m’ont informé que je courrais un risque très élevé. J’avais le choix entre rester constamment sous leur protection et loger dans une safe house ou alors je devais rentrer par le première avion aux États-Unis. Ils n’ont pas voulu me donner plus de détails » nous a confié le journaliste.
Incidents en marge des visites de Paul Kagame en Europe
Systématiquement à chacune des visites de Paul Kagame en Europe occidentale, la Republican Guard qui accompagne le président rwandais dans chacun de ses déplacements, fait appel à l’ « Intervention group ». Par exemple, en mai 2018, Paul Kagame est invité en France pour une visite qui devait marquer le réchauffement des relations entre le Rwanda et la France. Pour l’occasion, ce n’est pas moins d’une vingtaine de membres de l’ « Intervention group » qui ont fait le déplacement de Bruxelles vers Paris pour porter main forte à la Republican Guard. Parmi eux, on retrouvait : Vicky Kayumba (Chef de l’équipe), Florent Kamanzi, Gustave Mukunde, Prosper Rutayisire, Vincent Kabagema, Olivier Berlamont-Kayiganwa, Eric Muhirwa, Felix Rukundo Butera, Clovis Nkubito, Ndekezi Chico, Kennedy Bizimana, Claude Birasa et Lewis Murahoneza.
A l’occasion de la visite conjointe que devait mener les Présidents Macron et Kagame au Salon des nouvelles technologies de Paris, Vivatech, près d’une centaine de personnes avait été recrutée par les services rwandais pour surveiller les alentours, cadenasser les manifestants et veiller à ce que la visite se déroule sans accrocs. « Nous avions des hommes à chaque coin de rue, dans chaque bar, on maitrisait la situation » nous a confié Alain*, un de ceux qui avait été recruté pour l’occasion. Des équipes mixtes entre membres de la Republican Guard de l’ « Intervention group » avaient été organisées sous la coordination du lieutenant-colonel Migabo Callixte, ex-chef des renseignements au sein de la Republican Guard et désormais en charge des opérations et par Tom Gasana, ex-major au sein de la RDF. Didier Rugina, responsable du desk Europe au sein de la NISS, était une nouvelle fois présent pour chapeauter le tout.
Plusieurs incidents se sont déjà déroulés en marge des visites de Paul Kagame à Europe. En mai 2014, alors que le groupe était en train d’être formé, des membres de l’ « Intervention Group » et de la Republican Guard ont attaqué une réunion de membres de l’opposition et de la société civile rwandaise qui se tenait au Parc Royal de Bruxelles. Brave Bahibigwi, ancien Président de Jambo asbl et présent sur les lieux nous a raconté : « Une vingtaine d’individus nous a encerclé, petit à petit ils ont commencé à nous menacer et certains ont sorti des couteaux pour nous intimider. La réunion a coupé court car bon nombre des participants se sont enfuis. ».
Le 21 octobre 2014, alors que Paul Kagame rencontrait ses soutiens à Londres. Un important dispositif de sécurité avait été mis en place et les membres de l’ « Intervention group » y jouaient un rôle prépondérant. Les manifestants d’origine congolaise étant très nombreux, la Republican Guard de Kagame a décidé d’intervenir pour les intimider. Très virulents et en possession d’armes blanches pour certains, un bon nombre des membres du groupe, sous la coordination d’ Innocent Ndacyayisenga, membre de la Republican Guard, ont été appréhendés par les services de Scotland Yard.Parmi eux figuraient : Gaston Basomingera (Belge), Jean-Bosco Rutaganga (belge), Gustave Mukunde (belge), Emery Rwigema Seka (belge), Olivier Barlamont-Kayiganwa (belge), Jean-Claude Uwagitare (belge), Jean Aimé Nkundabagenzi (belge), et Edwin Mutabazi (rwandais).
Ce n’est pas la première fois que les services britanniques avaient à faire des agents rwandais supposément envoyés à Londres depuis Bruxelles pour des activités obscures. Le 13 mai 2011, Norbert Rukimbira,chauffeur de bus bruxellois et ancien agent des services secrets rwandais avait été interpellé à Folkestone par des officiers de police de lutte contre le terrorisme britanniques avant d’être expulsé, car soupçonné de complot contre deux critiques rwandais vivant à Londres.
En octobre 2015, lors d’un Rwanda Day à Amsterdam, des membres de Jambo asbl et une équipe de journalistes de la VRT (télévision publique flamande) ont été attaqués, menacés et un membre du groupe s’est fait dérober son téléphone par la force. D’après, Norman Ishimwe, à l’époque rédacteur en chef de Jambonews, présent sur les lieux pour couvrir l’évènement pour le compte de Jambonews : « ils nous ont encerclés, ont commencé à nous insulter, à nous menacer et à nous traiter de tous les noms. Ils étaient surexcités.». Les individus ont tenté en vain de s’emparer de la caméra de l’équipe de reporters de la VRT.Ils réussiront malgré tout à s’emparer du téléphone portable de Brave Bahibigwi. Les journalistes Anneke Verbraeken et Serge Ndayizeye se feront plus tard eux aussi dérober par la force respectivement leur téléphone et leur tablette électronique. Enfin, alors que plus tard dans l’après-midi se tenait une manifestation aux abords du centre de conférence qui accueillait le Rwanda Day, Antoine Niyitegeka, commissaire chargé de la mobilisation au sein des FDU-Inkingi, qui animait les manifestants, a été violemment frappé par un groupe de 5 individus mené par Lewis Murahoraneza et un certain Safari Mubenga, deux belges membres de l’ « Intervention group ».
En juin 2017, à l’occasion d’un Rwanda day organisé à Gand, plusieurs opposants rwandais ont été attaqués lors de cette semaine où Kagame était en Belgique. Le Père Athanase Mutarambirwa a été agressé, roué de coups et s’est fait voler son appareil photo dans une embuscade qui visait Thomas Nahimana, ex-candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2017. Le Père Mutarambirwa est très engagé sur les questions des droits de l’Homme au Rwanda. Cette attaque a eu lieu aux alentours de Tour & Taxis alors que le Père Mutarambirwa rentrait chez lui après une manifestation hostile à la présence de Paul Kagame en Belgique. Lui et son compère ont été victimes d’une section d’une dizaine de membres de l’ « Intervention group ». Parmi eux se trouvait une nouvelle fois Lewis Murahoneza. D’autres opposants ont vu leur voiture caillassée ou ont été victimes de coups et de provocation sans gravité heureusement.
« Intervention group, » une milice rwandaise en pleine capitale de l’Europe
Le dictionnaire Larousse définit le terme « Milice » comme une « organisation paramilitaire illégale effectuant des actions de commando pour le compte d’un mouvement politique. » Organisé, méthodique et avec un culte du secret très poussé, l’ « Intervention group » a tous les attributs d’une milice. Depuis maintenant 5 ans, cette milice a grandi pour aujourd’hui atteindre près de 100 membres.
Les personnes originaires du Rwanda sont estimées à près de 50000 en Belgique. S’il est compréhensible que les autorités rwandaises s’intéressent à cette communauté, la nature des actions menées à leur encontre allant même jusqu’à la mise en place d’ « escadrons de la mort » est plus que préoccupante.
Traffic d’influence auprès de politiques et fonctionnaires belges, menaces et attaques physiques, vols de téléphones portables, piratage informatique, intimidations en toutes sortes,… les méthodes du réseau de renseignement et d’intervention mis en place par le Rwanda sur le territoire belge inquiètent.
Au Kenya, en Ouganda, ou en Afrique du Sud, les activités des escadrons de la mort rwandais ont déjà été jusqu’à la commission de plusieurs assassinats. L’année dernière ce sont deux jeunes belges, Thomas Ngeze, et Pieter-Jan Staelens, originaires de Bruges, qui semblent en avoir fait les frais. Le parquet belge a ouvert une enquête.
En 2012, Olivier Nduhungirehe, l’ancien ambassadeur du Rwanda en Belgique, aujourd’hui numéro deux de la diplomatie rwandaise avait été interpellé sur les inquiétudes de la sûreté belge à l’égard de la « crispation » du régime Rwandais. Sa réponse ? « On s’en fout de la sûreté belge ». Les autorités politiques belges partagent-elles la même conception ? Au regard de leur silence face à la mort suspecte de deux jeunes belges en Afrique du Sud et de leur inaction face au development d’une milice sur leur territoire, la question mérite d’être posée.
*Tous les noms suivi d’une astérisque sont des pseudonymes utilisés pour préserver l’anonymat des personnes qui ont accepté de nous parler.
Jean : Membre de l’«Intervention group » depuis 2014
Marie : Membre actif de la diaspora rwandaise en Belgique
Alain : Membre de l’ « Intervention group » en France
Diane : Très proche de Gustave Ntwaramuheto
Pascal : Connaissance de longue date de Gustave Ntwaramuheto
[1]https://www.rtbf.be/info/economie/detail_la-fsma-lance-une-mise-en-garde-contre-les-activites-de-l-asbl-rwanda-cash?id=7946351
[2]LAMFALUSSY, C., (2019, 17 juin) « Le service de renseignement de l’armée dans la tourmente de l’espionnage russe », in La Libre Belgique,n°168, p.10.
Source: Jambonews