Après le fiasco de l’opération « Serre d’aigle », visant à exfiltrer les espions de l’ambassade états-unienne à Téhéran, le Congrès décida de créer, au sein des armées, une unité capable de conduire des missions secrètes. À l’initiative des sénateurs Barry Goldwater et William Cohen, l’UsSoCom devint opérationnel, en 1987. Il est capable d’intervenir dans des guerres où les États-Unis ne sont pas officiellement partie prenante (Irak-Iran), ou pour préparer de nouvelles interventions (Somalie). Une de ses unités, la Team 6, est capable d’assassiner n’importe qui, n’importe où dans le monde, dans un délai de 48h après en avoir reçu l’ordre du président. L’UsSoCom dispose d’un budget de 10,547 milliards de dollars pour des activités dont vous n’entendrez jamais parler.

La docufiction “Ilaria Alpi – L’Ultimo Viaggio” (“Ilaria Alpi – Le dernier voyage”, visible sur le site de Rai Tre) met en lumière, surtout grâce aux preuves découvertes par le journaliste Luigi Grimaldi, l’homicide de la journaliste et de son opérateur Miran Hrovatin le 20 mars 1994 à Mogadiscio. Ils ont été assassinés, dans un guet-apens organisé par la CIA avec l’aide du Gladio et des services secrets italiens, parce qu’ils avaient découvert un trafic d’armes géré par la CIA à travers la flotte de la société Schifco, donnée par la Coopération italienne à la Somalie officiellement pour la pêche.

En réalité, au début des années 90, les navires de la Schifco étaient utilisés, avec des navires de Lettonie, pour transporter des armes états-uniennes et des déchets toxiques, y compris radioactifs, en Somalie, et pour approvisionner en armes la Croatie en guerre contre la Yougoslavie. Même si on n’en parle pas dans la docufiction, il s’avère qu’un navire de la Schifco, le 21 Oktoobar II (ensuite sous bannière panaméenne sous le nom de Urgull), se trouvait le 10 avril 1991 dans le port de Livourne où était en cours une opération secrète de transbordage d’armes états-uniennes revenues à Camp Darby après la guerre en Irak, et où se consomma la tragédie du Moby Prince dans laquelle moururent 140 personnes.

Sur le cas Alpi, après huit procès (avec la condamnation d’un Somalien jugé innocent par les parents mêmes d’Ilaria) et quatre commissions parlementaires, la vérité est en train de venir au jour : à savoir ce qu’Ilaria avait découvert et noté dans ses carnets, que les services secrets ont fait disparaître. Une vérité d’actualité brûlante, dramatique.

L’opération « Restore Hope », lancée en décembre 1992 en Somalie (pays de grande importance géostratégique) par le président Bush, avec l’assentiment du néo-président Clinton, a été la première mission d’« ingérence humanitaire ».

Avec la même motivation, à savoir intervenir militairement quand est en danger la survie d’un peuple, ont été lancées les successives guerres des USA et de l’Otan contre la Yougoslavie, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie et d’autres opérations comme celles au Yémen et en Ukraine. Préparées et accompagnées, en costume « humanitaire », par des activités secrètes. Une enquête du New York Times a confirmé l’existence d’un réseau international de la CIA qui, avec des avions qataris, jordaniens et saoudiens, fournit aux « rebelles » en Syrie, par la Turquie, des armes provenant aussi de la Croatie, qui rend ainsi à la CIA la « faveur » reçue dans les années 90.

Quand le 29 mai dernier le quotidien turc Cumhuriyet a publié une vidéo montrant le transit de ces armes à travers la Turquie, le président Erdoğan a déclaré que le directeur du journal allait payer « un lourd prix ».

Il y a vingt et un ans, Ilaria Alpi paya de sa vie la tentative de démontrer que la réalité de la guerre n’est pas seulement celle que l’on nous met sous les yeux. Depuis lors la guerre est devenue de plus en plus secrète. Comme le confirme un reportage du New York Times sur la « Team 6 », unité supersecrète du Commandement US pour les Opérations spéciales, chargée des « meurtres silencieux ». Ses spécialistes « ont tramé des actions mortelles depuis des bases secrètes sur les calanques de la Somalie ; en Afghanistan ils se sont engagés dans des combats si rapprochés qu’ils sont rentrés trempés d’un sang qui n’était pas le leur », en tuant y compris avec des « tomahawks primitifs ». En utilisant « des stations d’espionnage dans le monde entier », en se camouflant en « employés civils de sociétés ou en fonctionnaires d’ambassades », ils suivent ceux que « les États-Unis veulent tuer ou capturer ». La « Team 6 » est devenue « une machine mondiale de chasse à l’homme ».

Les tueurs d’Ilaria Alpi sont encore plus puissants aujourd’hui.

Mais la vérité est dure à tuer.