«Ne pas écouter les marchés financiers, mais le peuple» (Olaf Ragnar Grimsson, Président d’Etat)
Récemment le gouvernement islandais a informé la Commission européenne et le Conseil européen du retrait de sa demande d’adhésion (cf. Horizons et débats no 8 du 23/3/15). Le gouvernement rose-vert avait sollicité en juillet 2009 son adhésion, après que la crise financière aux Etats-Unis ait influé de manière catastrophique sur les banques du pays. Lorsque le pays s’est rétablit étonnamment vite et qu’en avril 2013 un nouveau gouvernement a été choisi, les négociations ont été gelées. Le ministre des Affaires étrangères Gunnar Bragi Sveinsson a noté sur son site web: «Les intérêts de l’Islande sont mieux servi en dehors de l’UE.» La population n’approuverait pas l’adhésion, car ces dernières années, elle a réalisé, ce qu’elle a pu atteindre de ses propres forces. L’Islande est une île dans l’Atlantique avec 350.000 habitants. Le pays dispose de zones de pêche abondantes. Ses habitants pratiquent un peu d’agriculture avec beaucoup de moutons et accueillent de plus en plus de touristes parcourant le pays à cause de la beauté de la nature et de ses sources chaudes. Il fait bon vivre ainsi.
Lors de la dernière crise financière mondiale, l’Islande a pris une place importante – à plusieurs égards. La crise y a sévi encore beaucoup plus qu’ailleurs. En 2008, l’amoncellement de dettes était – au zénith de la crise – beaucoup plus élevé que dans les pays sud de l’UE. Alors que les dettes en Grèce s’élevaient à 175% du produit intérieur brut, les dettes de l’île atlantique (notamment celles des banques) étaient dix fois supérieur au du PIB, c’est à dire 1000% – donc un véritable scénario de catastrophe. Néanmoins, l’Islande se retrouve – sept ans plus tard – relativement en bonne santé. Comment cela s’est-il passé, comment cela a-t-il été possible?
Dans les années de la fin du millénaire, l’Islande se faisait remarquer par des taux de croissance très élevés. La raison n’était pas les fruits de la pêche, mais elle se trouvait ailleurs: les trois grandes banques s’étaient engagés dans un jeux risqué et avaient transformé l’île en une place financière globale. Elles attiraient par exemple des fonds d’épargnes de l’étranger avec des taux d’intérêts surélevés et investissaient cet argent dans des placements financiers risqués dans le monde entier – dans un premier temps avec succès. Les managers des banques responsables se présentèrent comme étant «modernes» et «ouverts» et rompirent avec les traditions de leur banque et de leur corps de métier – selon le proverbe: «Tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se casser.» La cassure ou la chute arriva il y a sept ans – de façon massive – et produisit très rapidement la faillite des trois grandes banques.
Le peuple montra la voie au sujet des dettes extérieures
Le traitement des dettes extérieures des trois banques islandaises était controversé. Selon la doctrine occidentale, l’Etat respectivement les contribuables devaient au moins en partie en assumer la responsabilité. Il s’agissait avant tout des fonds dits Icesave. Icesave avait, en tant que filiale en ligne de la Landsbanki nationalisée, attiré pendant plusieurs années avec des intérêts élevés de nombreux petits épargnants étrangers, dont l’argent n’était pas couvert par l’assurance islandaise des dépôts. Avant tout la Grande Bretagne et les Pays-Bas, d’où venait la plus grande partie de fonds étrangers, exigèrent que l’Etat islandais rembourse ces fonds. Il s’agissait d’environ 4 milliards d’euros (environ 12?000 euros par habitant de l’Islande). Le gouvernement négocia avec les deux pays, qui accordèrent des taux bas et des délais de remboursement longs. Le Parlement islandais accepta le résultat des négociations et adopta le 30 décembre 2009 une loi réglant les modalités de remboursement. – Mais alors le peuple sortit dans les rues avec leurs casseroles et exprima son mécontentement de devoir endosser une responsabilité qui ne lui incombait pas. Les spéculateurs étrangers devaient eux-mêmes porter les conséquences de leurs actes. Finalement, ils avaient obtenu 10% ou plus pour leur argent. «Est-ce moralement et juridiquement justifié, de simplement attribuer le risque à l’Etat et aux contribuables?», figurait sur les transparents et les tracts. L’initiative citoyenne Defence organisa diverses manifestations d’opposition. Elle récolta plus de 60?000 signatures (de 350?000 habitants) et exigea un référendum populaire. Les citoyens assiégèrent la résidence du Président d’Etat avec des feux de Bengale rouges, signalant de manière bien visible un «stop» à cette politique. Le Président d’Etat Olaf Ragnar Grimsson entendit la voix du peuple et ordonna le référendum: «Le noyau de notre Etat islandais est, que le peuple est le juge suprême sur la validité des lois. C’est ainsi que j’ai décidé, en conformité avec la Constitution, de transférer la décision sur la loi en question au peuple.» – En mars 2010, 93% des votants dirent non au paiement des dettes bancaires par l’Etat.
La Grande-Bretagne et les Pays-Bas étaient alors, faute de mieux, prêts à renégocier le remboursement des dettes bancaires. Dans un nouvel accord, l’Islande obtint des concessions supplémentaires et des allégements de paiement. Le remboursement fut prolongé jusqu’en 2046, suite à quoi la prochaine génération serait aussi concernée. Le Parlement islandais accepta. Le Président d’Etat fixa un nouveau référendum populaire. En avril 2011, le peuple refusa également cette nouvelle proposition. – Que faire?
Les Islandais résolurent leur problème bancaire de la manière suivante: les trois grandes banques durent annoncer faillite. La Landsbanki avec sa banque en ligne Icesave fut nationalisée, les deux autres ont été divisés en une «New Bank» et une «Old Bank». La New Bank (dotée de nouveaux capitaux) hérita des domaines d’activité nécessaires à l’intérieur du pays, tels les opérations de paiement, les bancomats, un service «crédit», etc. La Old Bank hérita des immenses amoncellements de dettes et toutes les affaires étrangères avec une quantité d’actifs douteux qu’on liquida lors d’une procédure de faillite. De cette manière, les guichets purent rester ouverts et les bancomats restèrent en fonction à tout moment. Les banques obtinrent de nouveaux noms. L’ancienne banque Kaupthing s’appelle aujourd’hui Arion, l’ancienne Glitinir s’appelle aujourd’hui Islandsbanki. Les trois banques (actuellement en partie en main étrangère) se limitent aux opérations bancaires traditionnelles à l’intérieur du pays. Cette procédure de faillite nous rappelle à la déconfiture de la Swissair, suite à laquelle on a toute suite fondé une nouvelle petite entreprise – la Swiss – (actuellement contrôlée par la Lufthansa) et pendant laquelle les actifs restants de l’ancienne société et l’importante accumulation de dettes ont été entièrement liquidés lors de la procédure de faillite.
La maîtrise du quotidien et la récupération
La vie sur l’île était difficile depuis le début de la crise. La couronne islandaise perdit de sa valeur. Les prix augmentèrent. Les salaires réels baissèrent. La vie renchérit. Le chaumage augmenta. La performance économique avait déjà baissé de 7% en 2009. Le gouvernement eut besoin d’un crédit du FMI de 10 milliards de dollar, pour survivre à ces temps difficiles. Comme d’habitude, il posa ses conditions. Le gouvernement gauche-vert refusa cependant une politique de liquidation dans le domaine social. Elle réussit tout de même à remplir le programme du FMI. Des pays amis tels la Norvège et la Suède aidèrent avec de l’argent. On augmenta les impôts pour les habitants, la progression de l’impôt sur les revenus fut accentuée et on saisit une série de mesures peu orthodoxes pour réduire les dettes. On déclara, par exemple, tous crédits liés à des monnaies étrangères comme illégaux. Le gouvernement offrit aux entreprises des programmes spéciaux de restructuration de la dette. Pour les crédits immobiliers il y eut des réductions de la dette. Les petits propriétaires obtinrent des allégements de paiements. Pour protéger la monnaie et empêcher la fuite de capitaux, le gouvernement introduisit des contrôles de la circulation des capitaux toujours en vigueur. Les personnes privées voyageant à l’étranger ne peuvent changer qu’un nombre limité d’euros.
Le FMI respecta les démarches du gouvernement. Plus encore – il demanda au ministre islandais des Finances Steingrimur Sigfusson, s’il ne voulait pas devenir le responsable principal du FMI pour la Grèce. Celui-ci a cependant refusé cette proposition (Frankfurter Allgemeine Zeitung du 21/2/15).
La crise en Islande n’a pas duré longtemps. La politique énergique, soutenue par le peuple, montra rapidement des résultats. Le tourisme et l’industrie de pêche profitèrent massivement de la monnaie faible. L’Islande devint bon marché. On importa moins de biens de consommation chers, en revanche, on produisit davantage à l’intérieur du pays. Trois ans après la baisse de 7% de 2009, il y eut une augmentation de 3% – un taux plus élevé que la moyenne de l’UE. L’inflation disparut et le taux de chômage se trouve aujourd’hui à 4% – comme en Suisse. Il n’existe pas de chômage des jeunes comme dans d’autres pays, où il a atteint des dimensions catastrophiques. – L’agence de notation Fitch a de nouveau augmenté la solvabilité du pays. Elle l’a explicitement justifié par «la réussite atteinte suite à des réponses peu orthodoxes à la crise».
En outre, la décision de la Cour de justice de l’AELE de l’année 2013 – ayant cette fois-ci pris une décision au profit du peuple – a été de grande utilité puisque la responsabilité de l’Etat pour les dettes bancaires étrangères a été refusée.
Succès survenu sur fond de souveraineté et de démocratie directe
Pourquoi le pays a-t-il si vite récupéré? Décisif pour le succès fut d’un côté la voix du peuple. Les Islandais n’ont pas seulement pris les bonnes décisions lors de deux référendums. La population a également, dans un grand nombre d’activités, participé activement aux événements – et cela toujours de manière non-violente. Avec des sites internet originaux, ils se sont défendus contre des tentatives de la Grande-Bretagne de placer les Islandais dans un coin terroriste afin de pouvoir geler leurs comptes en banques en Grande-Bretagne. Les Islandais ont en outre remonté les manches et ont remis leur économie nationale au pas. Les trois «nouvelles» banques, massivement réduites, y accomplissent leur tâche traditionnelle. La population a aussi empêché que les managers responsables du dérapage des banques reçoivent, comme ailleurs, d’énormes indemnités de départ en quittant leurs postes. Un bon nombre d’entre eux doivent faire face à des procédures judiciaires. Une commission d’enquête parlementaire a publié un rapport de 2000 pages, qui désigne un petit groupe d’environ 30 managers de banques, membres du gouvernement et de la banque centrale comme responsables principaux pour la débâcle financière. La Cour suprême a récemment jugé quatre d’entre eux avec des peines de prison de cinq à six ans pour des manipulations frauduleuses du marché et des abus de confiance, la punition la plus dure jamais prononcée en Islande dans le domaine de la criminalité économique. En outre, la propre monnaie fut décisive pour le sauvetage du pays: la baisse massive de la couronne islandaise n’a pas mené au naufrage (comme certains prophètes financiers l’avaient prédit), mais c’était la condition préalable décisive pour une guérison rapide. Aujourd’hui, la couronne islandaise s’est stabilisée à environ 30% en dessous de sa valeur avant la crise. D’autres pays pourraient s’en inspirer! Pour un membre de la zone euro, la sortie de la monnaie commune serait la base pour une voie semblable.
Le succès de la voie islandaise pour sortir de la crise bancaire se distingue fortement de la voie centraliste, dirigée d’en haut, du sauvetage des banques et de la «gestion des dettes» de l’UE, où l’on maintien artificiellement en vie les banques en faillite et rend responsables les contribuables. L’Islande a clairement contredit l’idée que le sauvetage de grandes banques est «sans alternatives» (Too big to fail). Même si la voie de l’Islande ne peut pas être copiée telle quelle pour d’autres pays, elle inspire quand même à chercher courageusement de nouvelles voies. Elle montre aussi, comment un petit pays avec sa propre monnaie peut fièrement maintenir sa place dans le monde globalisé de la finance. La retrait de la demande d’adhésion en est la conséquence logique. Les problèmes financiers ne peuvent pas être résolus à huis-clos par une petite élite, mais la population et les contribuables doivent pouvoir aider de manière constructive à trouver le chemin du succès. Le fait que le FMI ait demandé au ministre islandais des Finances d’aider à maîtriser la crise de la dette en Grèce, parle pour-soi.