Pendant longtemps, y compris pendant les luttes électorales, on en parlait peu en Allemagne. Toutefois, actuellement l’unification européenne et son identification abusive accordant plus de pouvoir à l’Union européenne est redevenue un thème de la politique allemande.

Les points de départ furent le discours tenu par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker sur l’avenir de l’UE, le discours sur l’Europe du président français Emmanuel Macron et celui du président du Conseil européen Donald Tusk. Les politiciens allemands ont longtemps gardé le silence.

«Etats unis d’Europe»?

Toutefois, Sigmar Gabriel, le ministre allemand des Affaires étrangères actuellement en charge, s’est exprimé avec la revendication d’une politique européenne indépendante en matière de politique étrangère et de sécurité. Les Verts allemands en étaient d’ailleurs toujours partisans, selon la déclaration du parlementaire Vert Jan Pillipp Albrecht lors d’une interview avec le «Deutschlandfunk» le 11 décembre 2017. Martin Schulz, président du SPD, a exprimé sa volonté de voir les «Etats unis d’Europe» au plus tard en 2025, ancrés dans un accord constitutionnel et accompagné d’une ligne dure contre tous les membres de l’UE qui n’en veulent pas. Son exigence doit se trouver au centre des négociations pour une coalition avec la CDU et la CSU. Mme Merkel se gardera bien de le renier, alors même qu’elle ne s’est pas encore exprimée à ce sujet. Son collègue de parti, le Ministre-président de la Rhénanie du Nord-Westphalie Armin Laschet s’est cependant déclaré en faveur d’une expansion de l’UE, lors d’une interview au «Deutschlandfunk» le 6 décembre 2017. Tout ceci est conforté par le fait que la ville d’Aix-la-Chapelle a attribué son prestigieux Prix Charlemagne 2018 au président français pour «sa vision d’une nouvelle Europe et de la refondation du projet européen.» En outre, les ministres des Affaires extérieures de 25 Etats de l’UE ont, à l’instar des ministres de la Défense, décidé le 11 décembre 2017 la création d’une «Coopération militaire renforcée». Mais que penser de tout cela?

Souvenirs de l’agent américain Jean Monnet

On ne peut s’empêcher de se rappeler les réflexions stratégiques de l’agent américain Jean Monnet, le «précurseur des options d’unification européenne» (Wikipédia), lequel estimait, déjà dans les années 1950, que les «crises» étaient une nécessité afin de faire avancer pas à pas l’«unification européenne».

A part cela, on inventa le mythe du «projet de paix».

Le mythe du «projet de paix»

Ce mythe ne tient cependant pas la route. Même le discours de Churchill à l’Université de Zurich, en septembre 1946, se trouvait sous le signe du début de la guerre froide et de réflexions géostratégiques. Cette guerre ne se contenta pas d’être «froide», mais coûta la vie à des millions d’êtres humains en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie (rien qu’en Corée et en Indochine plusieurs millions) … mais aussi aux Etats-Unis et en Europe. A cela, il faut ajouter la fameuse phrase du premier secrétaire général de l’OTAN, le général britannique Lord Hastings Lionel Ismay, concernant le but de l’OTAN en Europe: «To keep the Russians out, the Americans in and the Germans down» [Tenir les Russes à distance, placer les Américains au centre et garder le contrôle sur les Allemands]. La proposition de Jean Monnet d’instaurer une autorité supranationale de surveillance de la production allemande et française de charbon et d’acier – ce qui donna dès 1951 la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) avec les 6 membres fondateurs qui créèrent par la suite la Communauté économique européenne (CEE), dont le but était de surveiller l’industrie allemande du charbon et de l’acier – était manifestement l’expression d’une méfiance envers la toute jeune République allemande.

Sigmar Gabriel: en politique extérieure la force doit primer sur le droit

Il est intéressant de constater que ces signes d’alors retrouvent une vie actuellement dans les débats politiques. Il n’en va pas seulement du fait que le premier pas accompli depuis longtemps consiste en la fondation de l’union européenne de défense, mais le discours de Sigmar Gabriel devant l’important «Forum de politique extérieure», le 5 décembre 2017, (https://www.auswaertiges-amt.de/de/newsroom/berliner-forum-aussenpolitik/746464), intitulé par le Ministère des Affaires étrangères allemand «L’Europe dans un monde incertain» est également typique. Les arguments avancés par Sigmar Gabriel sont les suivants: L’Europe – Gabriel entend par là l’Union européenne – est à nouveau menacée, 25 ans après la fin de la guerre froide, par exemple par des Etats émergents comme la Chine et la Russie, mais dans cette situation d’urgence, elle ne peut plus compter sur les Etats-Unis. Il va de soi que Gabriel pense avant tout à Donald Trump et guère à Barack Obama, Hillary Clinton ou encore George Soros. Ainsi, l’UE n’a plus qu’une option pour accomplir sa mission: se renforcer non seulement économiquement, mais aussi militairement et politiquement. «Nous devons prendre conscience que soit nous tentons de former nous-mêmes le monde et notre avenir, soit le reste du monde nous imposera le leur.» Le respect du droit international doit passer au second rang. En premier lieu se trouvent en politique les réflexions géostratégiques. L’Allemagne et l’UE doivent «se lancer sans hésitation dans le combat» pour obtenir gain de cause – et cela sans «de trop grandes œillères morales et normatives.»

Ce qui correspond parfaitement au commentaire de l’importante «Süddeutsche Zeitung» du 11 décembre 2017 concernant l’initiative de Martin Schulz: «Il était temps que Martin Schultz remette l’Europe au centre des négociations de coalition. Il exige la création des ‹Etats unis d’Europe› jusqu’en 2025, si nécessaire sans les pays travaillant en réalité contre l’Europe. Le délai fixé par le chef socialiste est en vérité irréaliste. Toutefois l’objectif est juste. Car seul un Etat fédéral européen peut obtenir que les Français, les Allemands, les Polonais et les Portugais arrivent à maintenir leur souveraineté face à Trump, à la Chine ou à Amazon. Depuis plusieurs mois, Emmanuel Macron tend la main à l’Allemagne. Bientôt ce sera trop tard de la prendre.» Donc, allons de l’avant!

Résurrection de la politique d’avant-guerre

Tout ceci rappelle une série d’arguments caractérisant non pas l’après-guerre, mais l’époque de l’avant-guerre. Ces arguments sentent mauvais, car on y trouve des images d’ennemis, des préjugés. Il est de notoriété publique que, par exemple, ni la Russie ni la Chine n’ont des intentions belliqueuses envers l’Europe. Mais les milieux officiels veulent à tout prix maintenir cette image erronée de l’agressivité de ces deux pays. La journaliste et auteur de renom Gabriele Krone-Schmalz l’a une fois encore magistralement souligné dans son dernier livre «La période glaciaire. Comment la Russie est diabolisée et pourquoi c’est si dangereux». La Russie et la Chine ont très souvent soumis des propositions de collaboration à l’Europe et continuent à le faire. Les deux pays proposent avec raison des «situations gagnant-gagnant» c’est-à-dire des possibilités de coopération où tout le monde y gagnerait. Mais l’UE a «préféré» relancer la guerre froide contre la Russie et déclencher d’indicibles sanctions. A la Chine, on reproche sans raison de vouloir scinder l’Europe en deux avec son projet de «nouvelle route de la soie».

Des questions à l’école

Un enseignant raconte qu’au cours de son enseignement la question s’était posée de savoir si c’était judicieux de présenter dans toute son horreur la persécution et l’anéantissement des juifs d’Europe entre 1933 et 1945. Un des élèves a répondu que cela se justifiait parfaitement, car tout un chacun devait être tenu au courant des détails afin d’empêcher que cela se reproduise. Une élève lui a répondu qu’on savait très bien ce qu’il s’était passé et que, néanmoins, on assistait encore et toujours à de pareils crimes. Il s’est alors posé la question de savoir si la jeunesse d’aujourd’hui était disposée à s’engager dans la lutte pour un meilleur monde. Un autre élève, un jeune homme très intéressé par l’histoire et les questions politiques a répondu «en principe oui» … mais on ne sait pas comment faire. Le maître acquiesça de la tête pour exprimer sa compréhension.

Un coup fatal pour la démocratie

Ce jeune homme parlait pour beaucoup de ses contemporains, jeunes et moins jeunes, en Allemagne et probablement aussi dans d’autres pays européens. On constate que les plus intéressés et les plus aptes à réfléchir, donc ceux possédant un fonds de valeurs, restent souvent sans réponse. Une politique faite de dénigrement et de violence, une politique de pouvoir et de préparation à la guerre (y compris les guerres en cours) constituent un frein. On pousse dans l’apathie politique les meilleures têtes et les cœurs les plus nobles. On ne s’étonnera donc pas d’entendre un jeune homme intéressé à l’histoire et à la politique dire qu’il manque de perspective. Continuer ainsi c’est porter un coup mortel à la vie démocratique. Pour les planificateurs de guerres cela «a un sens», mais pour l’ensemble des êtres humains c’est la catastrophe.

Face à cette situation, on ne peut pas se contenter de faire de la «résistance». L’«émigration intérieure» ou se contenter de «cultiver son propre jardin» ne sont pas des solutions acceptables. Quelle pourrait donc être la perspective? Pourquoi ne pas soutenir ceux s’engageant avec sérieux et honnêteté pour la paix et la justice.