Remarque liminaire

Ce 13 juin 2022, la nouvelle s’est répandue et même a été confirmée par les concernés comme quoi la localité de Bunagana dans laquelle se situe le poste frontalier entre la RDC et l’Ouganda  venait d’être conquise par les combattants du M23.

Ce groupe armé des Tutsi congolais qui avait été défait en 2013 et dont les éléments s’étaient repliés, notamment au Rwanda, venait de renaître miraculeusement en menant des attaques meurtrières dans  le district de Rutshuru, province du Nord Kivu. Le gouvernement congolais le qualifie désormais de “groupe terroriste », et ajoute, avec raison, qu’il est aux mains du dictateur rwandais Paul Kagame qui l’utilise pour ses intérêts, en lui fournissant des appuis conséquents en personnels et en matériels militaires.

La prise de Bunagana par l’armée de Kagame déguisée en M23 peut sembler une surprise pour les non-initiés, mais pour les observateurs avertis, cela est dans la logique des choses en ce qui concerne le rôle que Kagame fut appelé à jouer dans la région depuis 1990 et qu’il joue, jusqu’à présent, à merveille.

Ce court article vise à montrer que le modus vivendi et le modus operandi de ce que fait actuellement Kagame (juin 2022) n’ont pas varié d’un iota depuis 1990.

Choix du moment

Ce n’est pas par le hasard du calendrier que Kagame a décidé de conquérir avec son M23 la localité de Bunagana le 13 juin 2022. La date est soigneusement choisie pour des raisons que nous allons énumérer. D’abord les négociations de Nairobi entre le Gouvernement de la RDC et les rebellions de l’Est de ce pays doivent reprendre. Il y a ensuite un second round de la réunion des Chefs d’Etat-major des pays de l’EAC ayant pour mission de mettre sur pied une force militaire spécialement chargée d’éradiquer les groupes armées à l’Est de la RDC qui doit reprendre. Or, le M23 de Kagame est exclu de ces négociations car considéré, et avec raison, par la RDC, comme un “groupe terroriste” avec lequel il ne devrait pas négocier mais combattre.

Pour forcer la main à la RDC et lui faire admettre de réintégrer son M23, Paul Kagame devait faire que celui-ci (M23) se présente en position de force, car dans ce genre de négociations, c’est le rapport de force qui compte plus que les arguments juridiques ou humanitaires. Et dans ce genre de forcing, Paul Kagame n’est pas un novice. Les Rwandais se souviennent quand, en juin 1992, le principe des négociations venait d’être adopté par un gouvernement dirigé par les partis alliés à son groupe armé le FPR, ses parrains occidentaux ont demandé a son hôte Museveni de lui fournir les moyens lui permettant d’occuper une portion du territoire au Rwanda pour se présenter aux négociations en position si pas de force mais plus confortable.

En effet jusqu’à cette date, le FPR ne pouvait désigner et montrer un mètre carré du territoire du Rwanda qu’il occupait pour revendiquer quoique ce soit. C’est alors que dès le 05 juin 1992, Paul Kagame a lancé simultanément un raid sur le chef-lieu de la Préfecture de Byumba et des attaques rangées sur les unités déployées au front à la frontière, attaques préparées et appuyées par une artillerie lourde tirant de l’Ouganda.

N’ayant pas pris la ville de Byumba comme beaucoup le craignaient, Paul Kagame, sur conseil de ses parrains anglo-saxons, parviendra  tout de même à conquérir les installations de l’usine à thé de Mulindi située à 5 km de l’Ouganda et dont il fera désormais son Quartier Général jusqu’à la fin de la guerre de conquête en 1994. Ce faisant, en juillet 1992, le FPR de Kagame s’est présenté dans les négociations qui débutaient à Arusha en position de pouvoir dire qu’il occupe une partie du territoire rwandais.

Ensuite, on sait que vers la fin de ce mois de juin 2022, Kagame va accueillir le sommet du Commonwealth et que les préparatifs vont bon train. Tous les pays du Commonwealth n’ont donc d’yeux que sur le Rwanda et personne ne peut critiquer son dictateur et encore moins condamner ses actes même ceux violant le droit international. C’est donc pour Kagame une belle occasion pour relancer son M23.

Plus diplomatiquement, le 13 juin 2022 correspond aussi à la fin de la visite du Roi des belges Philippe en RDC. La prise de Bunagana devait donc attendre qu’au moins cet hôte de marque en RDC, mais gênant au Rwanda de Kagame, ne soit plus dans les parages surtout qu’il allait terminer sa tournée par le Sud Kivu à Bukavu.

Enfin, l’annulation de la visite du Pape François à Goma qui était prévue pour le 03 juillet 2022, fut une aubaine pour Kagame car son M23 serait embarrassé de prendre Bunagana alors que le Pape visite la ville de Goma située à 70 km et elle aussi dans le collimateur de Kagame.

Pour ceux qui ne l’ont pas su, nous leur apprenons qu’en 1990, quand le Pape Jean Paul II devait visiter le Rwanda à partir du 15 septembre, le FPR avait déjà planifié d’envahir le Rwanda pour court-circuiter les négociations avec le HCR, négociations qui devaient  résoudre la question des réfugiés rwandais en Ouganda et qui avaient débuté en juillet 1990. Les Etats-Unis, à travers la CIA, ont supplié le FPR et Museveni de reporter l’attaque et en tout cas de ne pas perturber la visite du Pape Jean Paul II qui n’avait pas pu être empêché comme vient de l’être celui du Pape François. Voilà pourquoi le FPR a envahi le Rwanda le 01 octobre 1990, soit à peine 10 jours après le séjour du Pape au Rwanda, alors que l’offensive était prête depuis août 1990. C’est ça aussi le choix du moment!

Choix de l’endroit

Le choix de Bunagana n’est pas non plus fortuit. Bunagana constitue en effet la porte d’entrée et de sortie de l’Ouganda vers la ville de Goma. Ensuite, y mener une opération militaire quand on est un groupe tutsi, hima ou hema, c’est sans problème, car ils seraient invincibles et donc appelés à dominer la région in aeternam, comme l’a déclaré récemment le Général Muhoozi Kainerugaba , commandant de l’Armée de terre de l’Ouganda, mais aussi et surtout fils du président Museveni qu’il prépare d’ailleurs à lui succéder.

Ensuite, dans la région, des trois frontières de Bunagana ( RDC, Rwanda, Ouganda), la frontière entre la RDC et le Rwanda, passe en plein parc des Virunga, une forêt dense, ce qui permet à Kagame de maintenir la confusion  pour déterminer d’où viennent ou se replient les assaillants. C’est le bon choix de l’endroit!

Objectifs politiques

Les objectifs politiques de Paul Kagame en RDC en ce mois de juin 2022 sont très clairs. Il s’agit de réimposer le M23 afin de réintégrer ses chefs militaires (tutsi) dans les FARDC avec leurs grades et d’exiger les postes qu’ils devraient occuper et dans quelle région ils devraient être affectés . Il s’agit ensuite d’exiger que l’aile politique du M23 soit agréé comme parti politique et que ses cadres obtiennent des postes dans la hiérarchie politique et l’administration.

Objectifs géo-stratégiques

Les objectifs stratégiques de Kagame (ou plutôt de ses créateurs et maîtres protecteurs) n’ont pas changé depuis 1997 quand il a pris Kinshasa. Il s’agit de réaffirmer que son Rwanda est incontournable dans la gestion de la situation socio-politico-économique en RDC. Il s’agit ensuite de faire admettre (ou d’imposer) que lui, Paul Kagame, devrait maintenir, à court terme, sa main mise sur le Nord Kivu et à long terme carrément l’annexer, dans cette balkanisation de la RDC tant évoquée.

Que faire pour la RDC ?

Diplomatie claire et cohérente

Face à cette situation et ses faits éblouissants, les décideurs politiques de la RDC devraient être plus lucides et surtout mener une diplomatie claire et cohérente tout en restant pacifistes. Il est ahurissant en effet de constater après coup que le gouvernement de la RDC n’aurait pas perçu ou su que les parrains communs de Museveni et Kagame les ont obligés, dès février 2022, à se réconcilier et à abandonner leurs chamailleries familiales pour se consacrer à l’essentiel, à savoir, piller la RDC. Croire que Museveni peut s’opposer ou contredire Kagame de ce qu’il fait en RDC c’est vraiment être naïf. Même les moins avertis ou sans moyens de s’informer auraient été alertés par les récentes déclarations du fils de Museveni qui s’apprête à lui succéder mais qui est aussi le Commandant en chef des troupes que ce pays a envoyées en RDC.

Actions diplomatiques ou de lobbying à mener en amont

La RDC, comme Etat, a quand même les moyens de s’informer pour connaître les lobbies pro-Kagame de l’Occident, mais aussi il peut se donner les moyens de les contacter et au besoin de leur promettre plus que ce que Kagame peut leur offrir en déstabilisant et en pillant la RDC.

Se donner les moyens de sa politique: FARDC

Enfin, aucun pays ne peut faire prévaloir sa volonté s’il n’a  pas le minimum de moyens pour l’imposer quand il le faut. Tout en restant un outil aux mains des politiques, les forces armées d’un pays font partie des arguments de ces politiques dans toute négociation ou marché. Dans le cas qui nous concerne, les politiques de la RDC ne devraient pas mettre les charrues avant les bœufs en voulant apparaître sur le plan régional et internationale alors qu’ils n’ont pas encore réorganisé, équipé et motivé ses forces de défense. La priorité devrait donc être aussi orientée vers l’équipement et la professionnalisation des FARDC débarrassées des scories léguées par trois décennies de compromission avec Paul Kagame et sa clique, avant de prétendre jouer un quelconque rôle sur l’échiquier régional ou continental.

Source: Echos d’Afrique