La réactivation du M23. La tension entre Kinshasa et Kigali. La situation sécuritaire dans l’Est de la RDC. Le politologue Charles Onana, spécialiste des questions de la région des Grands Lacs, répond aux questions de Sahutiafrica.

Entre Kinshasa et Kigali, les relations se crispent depuis la reprise des hostilités entre l’armée congolaise et les rebelles M23. Mesure conservatoire et suspension des accords de coopération bilatérale. Les deux voisins, dont les relations ne ressemblent pas à un long fleuve tranquille, s’accusent mutuellement. Pour Kinshasa, le Rwanda soutient le M23. Kigali accuse l’armée congolaise de coaliser avec les rebelles rwandais FDRL. Vendredi 17 juin, une fusillade à la frontière RDC-Rwanda a fait un mort, un militaire congolais, et deux blessés, policiers rwandais. Entre-temps, les manifestations se multiplient contre le soutien du M23 par le Rwanda en RDC. Les Congolais doivent poser des actes forts pour se faire respecter par leurs voisins, affirme Charles Onana. Entretien.

Sahutiafrica : Comment comprendre le fait que la RDC et le Rwanda s’accusent mutuellement depuis la reprise des hostilités entre les FARDC et les rebelles du M23 ?  

Charles Onana : La situation est très simple. Je pense tout simplement que ça fait des nombreuses années que le Rwanda mène des incursions sur le territoire congolais depuis pratiquement 1994. Cela veut dire qu’on a eu à faire au premier bombardement du camp de réfugiés de l’Est du Congo où le Rwanda disait que les génocidaires étaient établis dans l’Est du Congo. Il y a des incursions rwandaises à de nombreuses reprises. Cela a été documenté, y compris à l’époque par la Monuc. Depuis plus de 20 ans, le Rwanda ne fait que mener des actions sur le territoire congolais. Mais il me semble que le Congo n’a jamais mené des actions militaires explicites sur le territoire rwandais. Les accusations que le Rwanda porte vis-à-vis de la RDC, à mon avis, ne sont pas du tout fondées.

SA : Kinshasa voit l’ombre de Kigali derrière le M23. Et dénonce une agression de son voisin rwandais. La réaction des Nations unies semble lente. Quelle interprétation peut-on faire ? 

Ch. O : Les Nations unies ne réagissent pas parce que vous pouvez poser la même question sur les différents rapports qui ont été faits par des experts, mettant en cause le Rwanda dans le pillage des ressources minières du Congo. Personne n’a réagi. Les gens ne réagissent pas simplement parce que le Rwanda, aujourd’hui, sert les intérêts des multinationales et des certaines grandes puissances, qui se servent des minerais de l’Est du Congo pour le profit de leurs économies ou pour les intérêts de groupes privés. C’est pour cette raison, essentiellement, que personne ne veut réagir parce que beaucoup de gens gagnent de milliards Usd sur les minerais de l’Est du Congo. On peut sacrifier la population congolaise. On peut violer le territoire ou la souveraineté du Congo. Ça ne dérange personne. Il est important, aujourd’hui, que les Congolais prennent leur responsabilité devant ce qui se passe.

SA : Que doivent faire justement les autorités congolaises pour faire entendre leur voix et obtenir une condamnation de ce qu’elles qualifient d’agression comme la situation en Ukraine aujourd’hui ?

Ch.O : Aujourd’hui, le Dr Denis Mukwege et plein d’autres personnes, des associations congolaises essaient de se faire entendre partout sur le viol des femmes, mais vous voyez très bien qu’il ne se passe absolument rien du tout. A mon avis, la priorité aujourd’hui est que les Congolais se mobilisent pour faire entendre leur voix. Mais aussi faire reconnaitre au monde entier que ce que vit le peuple congolais est inacceptable. C’est inacceptable en Occident. Je ne vois pas pourquoi ça devrait être accepté et toléré en Afrique. C’est aux Congolais de faire savoir que trop, c’est trop. Je ne sais quel est le peuple, qui peut vivre ce que vit le peuple congolais depuis 20 ans. Et survivre à ça. Les Congolais continuent de survivre à cette situation. Je pense qu’à un moment donné, il faut tout simplement y mettre un terme.

SA : Comment expliquer qu’une rébellion défait totalement, en 2013, puisse résister face à l’armée congolaise aujourd’hui ? 

Ch. O : La rébellion du M23 n’a jamais été complètement défait. C’est comme, si on disait que le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) avait été défait. Le M23 est une émanation de celui-ci. Il ne faut pas que les Congolais se laissent distraire par la multiplication des noms donnés aux groupes armés qui interviennent dans l’Est du Congo : le CNDP, le M23 etc. Demain, on vous donnera encore plein d’autres noms. Tout cela est de la poudre aux yeux. La réalité est tout simplement qu’il y a des forces militaires ou paramilitaires, qui viennent du Rwanda. Ils violent le territoire congolais. Ils opèrent dans les mines de diamants et de coltans. Ils commettent des massacres vis-à-vis des civils et des viols vis-à-vis des femmes. Toutes ces violations des droits de l’homme et du territoire congolais doivent être sanctionnées. C’est aux Congolais de mener cette bataille parce que personne ne viendrait aider le Congo. Personne ne chercherait à aider le Congo de toute façon.

SA : Pour plusieurs, la piste diplomatique pour résoudre l’insécurité dans l’Est de la RDC a montré ses limites, même s’il y a eu un rapprochement entre le président Félix Tshisekedi et son homologue rwandais, Paul Kagame. Qu’attendre de la médiation du président angolais Joao Laurenço ? 

Ch.O : Le peuple congolais et ses dirigeants ne doivent compter sur personne d’autre que sur eux-mêmes. Je pense qu’il y a eu plusieurs rapprochements entre Joseph Kabila, à l’époque, et le Rwanda. Les différents groupes armés ont signé des accords dans lesquels le Rwanda et l’Ouganda ont été parrains. Vous voyez bien que tout cela n’a, absolument, servi à rien du tout. Le calvaire du peuple congolais dans l’Est se poursuit. On a vu qu’il faut cesser d’attendre les solutions des autres. Il va falloir que les Congolais fassent tout ce qu’ils peuvent, je pense qu’ils ont suffisamment de ressources pour cela, pour mettre un terme à ce qui se passe dans leur pays.

Il faut faire un travail sérieux sur ce qui se passe dans ce pays plutôt que de continuer à mener des opérations diplomatiques. Des actions diplomatiques ont été menées depuis des années, mais elles n’ont abouti à rien. Il faudrait que les Congolais fassent autres choses que des discussions et des débats inutiles qui maintiennent le peuple congolais dans une situation de terreur.

SA : Aujourd’hui, peut-on présager une rupture des relations diplomatiques entre Kinshasa et Kigali ? 

Ch.O : Les Congolais sont appelés à poser des actes forts, qui doivent faire en sorte que leurs voisins les respectent. Ce qui va faire en sorte que la communauté internationale respecte le Congo. S’il n’y a pas d’actes forts posés sur la situation qui prévaut dans l’Est du Congo, ça va continuer comme ça continue depuis une vingtaine d’années. Il va falloir que les Congolais se fassent tout simplement respecter. C’est à eux de trouver la façon, dont ils se feront respecter face à leurs agresseurs.

Propos recueillis par Trésor Mutombo

Source: Sahuti Africa