«Je viens pour la paix et c’est cette paix qui guidera mon action politique pour éradiquer l’injustice et pour briser toutes les chaînes qui nous emprisonnent.
Je rentre pour lutter pacifiquement, … je ne suis pas accompagnée par une armée parce que je viens vers vous, vers mes parents, mes frères et sœurs». Victoire Ingabire.
Il est des dates dans l’Histoire qui transpercent le cœur d’un glaive froid et tranchant et qui laisse sonner ce glas de l’arbitraire quand bien même il s’agit pourtant de justice, de justice rendue.
Il est des femmes dans l’Histoire qui transpercent d’une lumière saisissante la pénombre du chemin long et tortueux de la démocratie et de l’État de droit au Rwanda et qui laisse sonner ce glas de l’espoir quand bien même, il s’agit pourtant d’injustice, d’injustice ressentie.
Il est des combats dans l’Histoire qui transpercent les nations et pousse à ces refrains enchanteurs de solidarité et d’humanité, quand bien même il s’agisse ici d’indifférence et d’abandon.
Mais il est des dates aussi où la plume peut résorber le temps d’un instant le froid des cœurs et la trajectoire tragique de certains destins.
Ce 13 décembre 2013 sonne la fin d’un long parcours judiciaire commencé en 2010. Il faut se rappeler que Victoire Ingabire est une femme politiquement engagée, présidente des Forces Démocratiques Unifiées (FDU) qui est un parti d’opposition au Rwanda. En 2010, au regard de la situation politique du Rwanda, elle avait décidé de revenir au Rwanda afin de se présenter aux élections présidentielles face au Président en exercice et ancien commandant du Front Patriotique Rwandais (FPR), Paul Kagamé. C’est dans ce contexte politique, après avoir essuyé une agression physique dans les bureaux de l’administration, que le 21 avril 2010, elle est arrêtée pour complicité de terrorisme et pour crime « d’idéologie du génocide ». L’opposante est alors accusée de vouloir former une alliance avec les rebelles hutus rwandais FDLR, d’avoir tenu des propos jugés négationnistes, notamment devant le mémorial de Gisozi, ou elle avait évoquer notamment l’absence de poursuites à l’encontre de présumés responsables de crimes graves membres du FPR.
Le 28 mai 2010, son avocat Me Peter Erlinder venu pour assurer sa défense est mis en également en prison. Il sera relâché trois semaines plus tard, et expulsé du pays. Un fait (pour y avoir été présente) qui avait mis en émoi l’ensemble de la communauté des avocats et défenseurs des droits de l’Homme travaillant à Arusha au sein du Tribunal pénal international pour le Rwanda.
En octobre 2012 était survenue une première condamnation en première instance à 8 ans d’emprisonnement pour atteinte à la sûreté de l’État et banalisation du génocide. Suite à l’appel formé par les parties (tant à la fois par le procureur que par Victoire Ingabire) la Cour suprême a donc rendu ce 13 décembre 2013 son jugement définitif. La Cour suprême du Rwanda a condamné Victoire Ingabire à 15 ans de prison ferme. La Cour suprême du Rwanda a ainsi confirmé le jugement de culpabilité des chefs de« conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre » et « minimisation du génocide » de 1994 au Rwanda, la déclarant alors coupable de « propagation de rumeurs dans l’intention d’inciter le public à la violence ». (Cette dernière incrimination n’avait pas été retenue lors du jugement en première instance).
Le destin de cette femme ne peut laisser indifférent, dès lors que depuis le début du processus judiciaire la concernant des voix de protestation se sont fait entendre et se font encore entendre [2] non seulement au sein de la société rwandaise mais aussi de la communauté internationale. En effet dès l’enclenchement du mécanisme judiciaire Rwanda, des voix d’experts, d’avocats, de membres de la société civile rwandaise, mais aussi internationale se sont élevées dénonçant les nombreuses irrégularités mettant à mal la garantie – si essentielle dans un tel contexte politico-judiciaire- du droit à un procès équitable[3]. Nombreuses ONG commeAmnesty international, Human Right Watchportait le flambeau de cette critique à l’égard du déroulement de cette affaire.
À tel point que le 23 mai 2013 avait été adoptée une résolution du parlement européen au travers de laquelle les eurodéputés demandaient notamment à l’État Rwandais d’assurer la liberté d’expression et l’invitait à « réviser la loi sur l’idéologie du génocide afin de respecter les obligations du pays au titre du droit international ». Mais plus encore, les euros députés mettaient ainsi en exergue les irrégularités du procès de Victoire Ingabire en estimant que « (l)e procès pénal de victoire Ingabire, l’un des plus longs dans l’histoire du Rwanda, revêt une importance particulière, tant politiquement que juridiquement, en tant que test de la capacité du système judiciaire rwandais à traiter des affaires politiques à fort retentissement de façon équitable et indépendante ».[4]
Comment ce propos ne peut-il pas raisonner aujourd’hui dans nos consciences ? Aujourd’hui plus encore, au regard du croisement de destins semblables comme ceux de Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela, comment accepter cette indifférence des instances internationales qui règne depuis le prononcé de ce jugement ? Comment dès lors ne pas avoir cette pensée qui laisserait dire que les intérêts géostratégiques, la démocratie, de même que les droits de la personne humaine ont une position différente sur l’échiquier international. Au contraire, c’est l’envergure des propos de Martin Luther King qui devrait ici primer, lorsqu’il disait qu’une « (u)ne injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier ».
Il est des femmes derrière lesquelles il y a toute une humanité, une espérance qui continue à lutter pour la démocratie et les droits de l’homme. Une cause qui nous concerne tous au delà des frontières. Victoire Ingabire est une femme d’exception, une inspiration pour notre génération de femmes et d’hommes pour qui nous devons user de notre liberté pour promouvoir la sienne. Le combat n’est pas terminé.
Faisons battre les tambours dans la nuit, si nous ne souhaitons pas que les étoiles déraillent face à notre immobilisme. Faisons vibrer les violoncelles sous le jour, pour que le chant d’un idéal et d’un espoir s’entremêle dans les méandres de cet air de liberté.
21 décembre 2013
[1] Bertoit Brechet,Hélène Mauler, René Zahnd, « Tambours dans la nuit », l’Arche, 7 octobre 2013 : « Lorsqu’un homme assiste sans broncher à une injustice, les étoiles déraillent ».
[2] « Le message est clair : s’il y a des opposants qui critiquent le gouvernement, ils pourraient passer de nombreuses années en prison. Cette décision de la Cour suprême illustre, en autres, l’aspect politique de ce procès et le manque d’indépendance du système judiciaire rwandais dans des dossiers politiques de ce genre. C’est un signal inquiétant. Le Rwanda est un pays qui a beaucoup avancé sur le plan économique, sur le plan du développement… Mais en matière des droits civils et politiques, il y a des violations de la liberté d’expression », a réagi Carina Tertsakian, responsable Rwanda de l’ONG à l’issue du procès.
[3] Rapport Amnesty International, « Rwanda. La justice mise à mal. Le procès en première instance de victoire Ingabire », 25 mars 2013 Consultez ici :http://www.amnesty.org/fr/library/info/AFR47/001/2013/fr
[4] Pour davantage d’explication voir le billet : « La résolution de l’UE du 23 mai 2013 ou la piqûre de rappel de l’UE à l’État Rwandais sur le respect de la démocratie et de l’état de droit », blogue Clinique de droit international pénal et humanitaire, 17 juin 2013, Élise Le Gall