Longtemps et plusieurs fois annoncé depuis mars 2025, le fameux accord de paix entre le Rwanda et la RDC a été enfin signé à Washington par les ministres des Affaires étrangères rwandais et congolais lors d’une cérémonie présidée par le secrétaire d’État américain Marco Rubio vendredi 27 juin 2025.
D’emblée, il faut dire que cet accord a quelque chose de bizarre : il ne concernerait ni les troupes rwandaises déployées en RDC ni le M23/AFC car il n’en parle point. C’est un accord qui lie l’intégrité territoriale de la RDC et le retour du contrôle de l’Etat sur les territoires de l’Est occupés, au sort des FDLR mais sans jamais citer le M23/AFC qui les occupent. On dirait donc que c’est le groupe FDLR qui occuperait depuis plus de 2 ans la plus grande partie du Nord et du Sud Kivu et depuis janvier 2025 les villes de Goma et de Bukavu. L’accord recommande donc que pour y rétablir l’autorité du gouvernement de Kinshasa, il suffirait de neutraliser les FDLR! On croit rêver!
La signature de cet accord le 27 juin 2025 peut renvoyer à deux symboles et deux questionnements : est-il un cadeau d’anniversaire au régime de Paul Kagame pour ses trente et une année de sa conquête militaire du Rwanda venant de l’armée ougandaise ? Ou une “mise à la retraite dans l’exercice de sa souveraineté ” de la RDC à ses 65 ans d’indépendance?
Atmosphère du moment, attentes et impacts
A l’occasion de la signature de cet accord, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a déclaré que « C’est un moment important après trente ans de guerre ».
Au delà de la cérémonie protocolaire, il y a lieu de jeter un coup d’œil ici et là pour voir quelle atmosphère régnait lors de la signature de cet accord que l’on voudrait historique.
Aux Etats Unis, dans le cadre de la campagne pour faire passer le président Trump comme un “faiseur de paix” comme il se définit et dans la foulée du cessez-le-feu entre l’Iran et Israël qu’il venait d’imposer après avoir hâté et fini le travail entamé par l’état hébreux pour casser l’intention de l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, la signature est tombée au bon moment.
De plus, le même président des Etats Unis, comme véritable patron de l’OTAN, venait de faire passer son exigence aux autres membres de cette organisation au sommet de La Haye, de se surarmer en faisant passer leurs budgets de défense à au moins 5 % de leurs PIB. Les pays réticents se sont contentés de murmures mais ont acquiescé.
Dans ces conditions, la signature de tout accord dit de “paix” était donc la bienvenue quel que soit le contenu du texte signé et ses conséquences probables qui contrarieraient la paix, pourvu que l’accord soit mis sur la fiche signalétique du candidat au Prix Nobel de la Paix 2025 et dans ce cas, un certain Donald Trump.
En RDC, les Congolais sont partagés entre espoir, déception et scepticisme.
Le pouvoir et son camp sont satisfaits car considérant que n’ayant pas pu empêcher l’envahisseur d’occuper la partie Est de la RDC avec ses FARDC, dès lors que la diplomatie parvient à faire rétablir l’autorité de l’Etat dans les territoires de l’Est et que l’envahisseur retire ses troupes, il ne peut que s’en réjouir.
Dans le camp gouvernemental, l’heure n’est donc pas à scruter les non-dits, les amalgames et confusions dont est truffé cet accord de paix avec le Rwanda supposé garantir la souveraineté territoriale de l’Etat congolais et l’autorité de l’Etat à Goma comme à Bukavu, ce qui ne semble pas aller de soi!
L ‘opposition comme les puissants chefs religieux surtout de la CENCO ne sont pas opposés à un accord de paix qui restaurerait justement la paix à l’Est de la RDC et la stabilité de cet Etat. Mais ce qu’ils craignent et ne souhaiteraient pas, c’est que cet accord imposé par Donald Trump ne parvienne effectivement pas à ramener la paix à l’Est et cela sous le mandat de Félix Tshisekedi qui entrerait alors ainsi dans l’Histoire comme “l’homme d’état qui a sauvé l’honneur du Congo et a assuré la paix et la sécurité à la population”. Ce qui serait une catastrophe pour ses opposants qui peineraient alors à s’attaquer à lui et encore moins à le renverser comme le revenant Joseph Kabila qui s’agite justement dans les territoires sous occupation ennemie en attendant son parachutage au pouvoir à Kinshasa.
Quant aux chefs religieux de la CENCO, pour ne pas perdre leur autorité morale qu’ils ont auprès de chaque président au pouvoir car il doit chaque fois recevoir d’abord leur bénédiction, il faudrait que si accord de paix y aurait , ils y soient associés et ne pas seulement l’attribuer au président en exercice. Ceci explique leur agitation des derniers mois pour imposer ce qu’il appelle “un pacte social” alors que certaines de leurs exigences sont d’inspiration ennemie.
Enfin, la société civile de la RDC est la plus rationnelle car elle juge sur les faits réels et donc attend voir comment cet accord de paix bizarre et bancal va être mis en œuvre.
Au Rwanda, cet accord fut signé quelques jours seulement après la réapparition de Paul Kagame en public après une éclipse d’un mois.
C’est une opportunité pour le régime de faire l’amalgame avec la célébration du 31è anniversaire de la conquête militaire du Rwanda, comme pour dire à la population qu’en se retirant de la RDC, l’armée de Kagame reste conquérante.
Mais surtout la signature et la médiatisation à outrance de cet accord permet au régime dictatorial de distraire l’opinion américaine sur le Rwanda par autre chose comme la messe annuelle de “Rwanda Convention” qu’il compte tenir le 04 Juillet 2025 à Dallas au Texas, Etat Unis.
Le plus cynique et inhumain de ce soi-disant “accord de paix” est la réduction au silence de la dernière et seule voix de l’opposition au régime, Madame Victoire Ingabire. En effet, dès l’annonce de la date de signature de cet accord, la seule opposante déclarée et vivant au Rwanda et qui a passé 8 ans en détention et qui reste interdite de déplacement, a été enlevée de sa résidence et reste détenue dans le cachot immonde de la station de police de Remera, un quartier de la capitale Kigali. Le régime dictatorial de Paul Kagame voudrait la maltraiter au moment où l’opinion est absorbée par la signature de cet accord de Trump autrement plus médiatique.
Le fond et les détails de l’accord
La première lecture du texte de cet accord montre qu’il comprend des dispositions sur « le désengagement, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés non étatiques », ainsi qu’un « mécanisme conjoint de coordination en matière de sécurité«.
Mais toutes ces dispositions et mécanismes… ne concernent que le groupe FDLR et curieusement le M23/AFC n’est jamais cité.
Comme nous allons le voir brièvement, l’accord reste vague sur les mesures envisagées pour trouver une issue à la crise.
L’accord comprend deux volets distincts constitutifs : le volet sécuritaire et le volets économique.
Le volet sécuritaire se limite visiblement au retrait des troupes rwandaises de RDC en échange de la neutralisation et du démantèlement des FDLR. Curieusement, l’accord ne mentionne même pas une seule fois l’expression “retrait des troupes” mais reprend la notion vague lancée par Kigali de “lever des mesures défensives du Rwanda”. Certains analystes considèrent que les rédacteurs de l’accord ont préféré le terme « désengagement » à celui de « retrait » simplement parce que « désengagement » est plus globalisant. Mais la réalité est plus nuancée.
Quand on sait que c’est le M23/AFC de Paul Kagame qui occupe les 2 provinces du Nord et du Sud Kivu et leurs chefs lieux Goma et Bukavu et qu’il n’est pas cité dans ce volet sécuritaire, n’importe qui pourrait se poser des questions.
Pour faire passer dans l’opinion la pilule que constitue cette énormité, les rédacteurs de l’accord disent que la question du M23 est renvoyée au processus de Doha qui devrait faire la synthèse de ceux de Luanda et de Nairobi. Dans ces conditions, le champ d’interprétation laisse ouvertes toutes les portes surtout pour le Rwanda.
S’agissant du volet économique, le volet économique, la RDC cherche à obtenir le soutien des États-Unis contre les groupes rebelles crées et soutenus par le Rwanda en échange d’un accès à ses abondantes ressources minérales. Mais en même temps les Etats Unis garantissent au Rwanda l’accès à ces ressources et de bénéficier de leurs exploitations.
Garanties pour d’application : un mécanisme pour traquer les FDLR
A cet effet, l’accord instaure un mécanisme conjoint (JSCM: Joint Security Coordination Mechanism). Il est dit textuellement que les Parties conviennent que la mission du JSCM est d’identifier, d’évaluer et de localiser les FDLR et les groupes affiliés afin de permettre la neutralisation des FDLR et des groupes affiliés. Rien sur le M23/AFC.
Le mécanisme JSCM est composé d’au moins trois (3) représentants permanents de chaque partie, y compris des représentants des forces armées, du renseignement et des ministères des Affaires étrangères.
Le mécanisme conjoint de coordination de la sécurité est régi par les principes suivants et le plan de mise en œuvre figurant à l’annexe de l’accord : la fin irréversible et vérifiable du soutien de l’État aux FDLR et aux groupes armés associés, et l’interdiction totale de tout soutien matériel, logistique, financier ou autre, qu’il soit national ou étranger, à ces derniers; un engagement à identifier, évaluer, localiser et neutraliser conformément aux dispositions pertinentes du Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et de désengagement des forces, qui est furtivement assimilé à la levée des mesures défensives par le Rwanda.
L’accord renvoie enfin à un CONOPS: Concept of Operations (Concept d’opérations) instauré par le processus de Luanda fin 2024 avant la prise des villes de Goma et de Bukavu par les troupes de Paul Kagame.
Cette CONOPS avait et a encore pour mission de neutraliser les FDLR et lever “les mesures défensives du Rwanda”.
Dans son plan de manœuvre : “Les FARDC doivent neutraliser les FDLR tandis que les RDF doivent désengager les Forces(lever les mesures défensives du Rwanda) en plusieurs phases…”. Le texte n’indique pas quelles sont ces mesures défensives du Rwanda ni où il faudrait les lever. Il est donc un peu tôt pour dire que le conflit est résolu parce que l’on a signé un document devant les Américains.
Connaitre la vraie nature du régime du FPR de Paul Kagame pour l’évaluer
En politique comme en diplomatie et devant la justice, le régime du FPR de Paul Kagame est par nature caractérisé par des gènes suivants qu’il a dans son ADN: la duperie est la norme ; rouler l’autre est ce qu’il faut ; mentir est la règle et signe d’intelligence (ubwenge) ; la ruse est l’art ; mentir est une valeur.
Au cours des négociations qui ont abouti à cet accord, le régime de Paul Kagame a visiblement usé et abusé de ces caractéristiques face au gouvernement congolais qui restait de bonne foi et à l’administration du médiateur américain qui s’en fichait des détails des chamailleries entre africains, intéressé qu’il est par uniquement les ressources minérales.
Ainsi, en ce qui concerne cet accord, le coup de génie du régime Kagame est d’une part d’avoir réussi à faire gommer l’expression “retrait des troupes rwandaises de RDC” des textes alors qu’il avait été établi par la résolution 2773 de Conseil de Sécurité de l’ONU pour la remplacer par “ lever des dispositifs de défense du Rwanda” comme si un pays devait installer son dispositif de défense dans un autre pays. D’autre part, c’est d’avoir exigé et obtenu que son M23/AFC qui occupe le Nord et le Sud Kivu, ne soit pas cité dans le volet concernant le retour de la paix et la sécurité à l’Est de la RDC et de remplacer systématiquement le sigle FDLR.
Et tout est contenu dans la jubilation du ministre rwandais commentant l’accord qu’il venait de signer exprimant sa satisfaction et donc celle de ses maîtres du FPR. Il parle de « l’engagement pris ici de mettre fin de manière irréversible et vérifiable au soutien de l’État aux FDLR et aux milices associées ».
Avec le terme “FDLR et milices associées” glissés dans l’accord signé par la RDC, le régime de Paul Kagame a tendu un piège dans lequel la RDC risque de tomber à tout moment quand, où et comment le voudrait le régime rwandais.
En effet, en faisant du groupe FDLR le problème central et la solution de la paix en RDC, le régime du FPR vient de réussir le coup de profiter au maximum du mythe FDLR.
Nous parlons de “mythe” car les FDLR sont tout et leur contraire.
Selon la volonté et les occasions, le régime dictatorial du Rwanda présente les FDLR de différentes façons:
Le groupe FDLR est à la fois réel et insaisissable
Il représente une menace pour la sécurité du Rwanda et en même temps ne représente aucune menace pour le Rwanda ,
Il est à la fois présente et introuvable,
Il est souvent eradiqué et neutralisé mais déclaré toujours survivant,
Il est de nature physique mais à certaines époques il est de nature idéologique,
Il est identifiable par son ethnie Hutu mais aussi trouvable dans d’autres ethnies de la RDC,
Ses effectifs sont négligeables mais à certaines occasions énormes et incalculables,
Ils sont nés après 1994 mais ont à la fois commis le génocide rwandais de 1994, etc.
Ainsi le régime de Paul Kagame pourra, à toute occasion quand il le voudra et où il le jugera nécessaire, déclarer que le gouvernement de la RDC viole l’accord de paix de Washington pour n’avoir pas neutralisé et éradiqué les FDLR. En effet avec le terme “… milices associées” inscrits dans l’accord, le Rwanda de Paul Kagame désignera tous les groupes des Wazalendo comme étant des FDLR. Et ils sont trouvables dans toutes les zones de l’Est de la RDC et dans diverses communautés. La RDC aura du mal à protester et à convaincre car n’ayant pas souligné cette nuance lors des négociations de cet accord.
Ensuite, il suffira au régime de Paul Kagame de déclarer que la RDC viole l’accord de Washington en soulignant que la plupart des militaires des FARDC qui ne sont pas Tutsi sont des FDLR. Il n’aura pas besoin de le prouver ayant fait admettre que les “FDLR consituaient une idéologie” et pas des individus.
Comment la RDC pourrait-elle rendre cet accord un tout petit peu “gagnant-gagnant”?
Au minimum, il faudrait lier la situation du M23 sur le terrain aux termes de l’accord sur le volet sécurité là où est cité le ”Rwanda”. Ensuite, considérer comme une urgence tout comme la paix à l’Est mais aussi le retour de l’autorité légale dans les territoires et villes occupés par le M23/AFC. Sinon comment la RDC pourrait-elle appliquer certaines dispositions de l’accord dans ces zones, par exemple analyser la menace que constitueraient les FDLR, les localiser et mener des opérations conjointes FARDC- RDF pour les neutraliser comme il est stipulé dans cet accord?
Il faudrait insérer quelque peu, l’aspect justice dans cet accord car sinon ce gouvernement resterait dans l’histoire comme ayant sacrifié, pour des intérêts politiques, des millions de ses concitoyens massacrés impunément par le Rwanda depuis 3 décennies. La voix du Prix Nobel de la Paix congolais le Dr Denis Mukwege qui regrette le deni de justice de cet accord devrait être entendue. En effet, il a dénoncé un texte opaque, non inclusif, légitimant l’occupation, le pillage des ressources congolaises et sacrifiant la justice au profit d’une paix illusoire.
Appel au médiateur, tout puissant et “ faiseur de paix”, Donald Trump
Ceux qui peuvent l’approcher ou lui communiquer devraient le supplier d’intégrer dans ses analyses et appréciations la questions des réfugiés Hutu rwandais en RDC pris abusivement comme étant tous FDLR donc à éradiquer.
Il devrait venir au secours des opposants au régime dictatorial de Paul Kagame à commencer par Victoire Ingabire actuellement dans les geôles de Paul Kagame et qui risque sa vie.
Pour le reste, nous ne pouvons qu’observer et attendre les premières évaluations de l’application de cet accord bizarre dans quelques mois car il est prévu que trois mois après sa signature, les FDLR devraient avoir été neutralisées et “les dispositifs de défense du Rwanda” levés.
Entretemps, on ne sait pas si le M23/AFC non concerné se contentera toujours et uniquement du Nord et du Sud Kivu notamment des villes de Goma et de Bukavu ou alors aura élargi ses conquêtes dans d’autres régions ou villes de la RDC au moment où les FARDC et le RDF seront occupées conjointement à neutraliser les FDLR même dans les zones toujours sous contrôle du M23/AFC d’après les termes de cet accord.
Source: Echos d’Afrique
Dr Mukwege dénonce l'accord RDC-Rwanda devant l'UE (Monsieur Afrique, 10.05.2025)